R.C.
Vaudey. Poésies III
Les
idées s'améliorent. Le sens des mots y participe. Le plagiat est
nécessaire. Le progrès l'implique. Il serre de près la phrase d'un
auteur, se sert de ses expressions, efface une idée fausse, la
remplace par l'idée juste.
Il
est injuste d’exiger d’une âme maintenue dans un infantilisme
amoureux incurable qu’elle ait la même vigueur que d’autres
arrivées à la complétude. Est-on surpris qu’un enfant ne puisse
ni penser, ni chanter, ni prôner les plaisirs de la vie comme un
homme fait ? Ne serait-il pas plus étrange qu’il fût comme
un adulte formé et en pleine santé ? Et, puisqu’il n’a
jamais goûté que des fruits verts, on ne saurait lui reprocher de
ne pas connaître les délices des fruits mûrs et gorgés, et
personne ne peut lui en vouloir de ne pouvoir les encenser :
refuserons-nous à un homme qui n’a jamais connu — seul, à deux,
ou en groupe — que les plaisirs infantiles — et plus ou moins
envenimés — de l’auto-érotisme « à prétexte », où
se limitent les pulsions partielles, le privilège que nous accordons
à un enfant ? Et oserons-nous assurer qu’il n’a jamais eu
le courage d’aller à la plénitude charnelle et sentimentale celui
qui — formé par Georges Bataille, le marquis de Sade ou Marc
D’Aurcelle — aura manqué à en entendre parler, dans une société
où elle ne présente aucun intérêt — comme tout ce qui est
poétique et sentimental ?
*
Il
est faux que les sensualistes, possédant de bonnes qualités,
très utiles aux autres, ne sont à eux-mêmes d’aucune utilité;
comme un cadran solaire qui, placé sur la façade d’une maison,
est utile aux voisins et aux passants, mais pas au propriétaire qui
est chez lui : ils ne doivent qu’à eux-mêmes, et à leurs
bonnes lectures, d’être là où ils sont — et où ils se
plaisent tant à être.
*
L’expérience
de la complétude amoureuse est ce qui donne de l’autorité aux
réflexions sur l’amour ; tandis que les jeux de la
prégénitalité énervent toujours la personnalité et le discours.
*
Ceux
qui ne peuvent comprendre la vie amoureuse que comme le coït
reproductif — ou analgésique —, et ceux qui la comprennent
comme « jeux érotiques », et qui, les uns et les autres,
veulent limiter cette « vie amoureuse », ainsi
diversement comprise, au seul sexe opposé, le font sur la base de
préceptes moraux ou religieux — et ignorent eux-mêmes ce dont ils
parlent. Pour une individualité dont le mouvement vers la maturité
sexuelle et sentimentale a été bloqué, et qui reste dominée par
les pulsions partielles, il n’y a finalement aucune autre raison
que morale ou religieuse à préférer le sexe opposé puisque, de
fait, tout se prête à ces jeux.
*
C’est
parce qu’elle, seule, offre « l'abandon en absolu simultané à la gloire orgastique et à l'extase qui la suit [qui] signifie tout à la fois la réalisation puissante, totale, incontrôlée de ce principe même du vivant, et l'accession à cette forme particulière de béatitude qui est le cœur même de l'humanité, puisqu'elle n'appartient qu'à l'humain et que seuls les humains peuvent connaître la rencontre élégante, belle, puissante, extasiée, amoureuse qui aboutit à cette jouissance et à cette extase-là ; que seul sur la terre parmi toutes les créatures l'Homme peut jouir ainsi ; de sorte que la conscience extasiée que cette jouissance amoureuse des amants — telle que je l'ai définie — permet d'atteindre est vraiment ce qui est typiquement et uniquement humain. »
qu’il faut préférer — lorsque la vie vous fait la grâce de
vous l’offrir — la génitalité telle que, après Ovide
et W.
Reich,
nous la définissons. Et pour aucune autre raison.
Et
c’est ce point qui nous oppose, nous autres moralistes
sensualistes, à toutes les sortes de moralisateurs.
*
Une
personnalité dominée par les pulsions partielles est trop
tourmentée et trop ardente — mais d’une ardeur mauvaise — pour
avoir du goût pour le libertinage idyllique. Pour avoir du goût
pour le libertinage idyllique, il ne suffit pas d'avoir en soi la
faculté de goûter les belles et douces choses de la complétude
amoureuse — faculté qui déjà est si rare —, il faut encore
du loisir, une âme libre et vacante, redevenue comme innocente,
non livrée aux fixations infantiles, non affairée, non bourrelée
d'âpres fantasmes sadomasochistes et d'inquiétudes et de
divagations prégénitales ; une âme désintéressée et même
exempte du feu trop ardent du désir exacerbé — tel que le
façonne la sexualisation de la souffrance passée ou présente —,
non en proie à sa propre veine insolente ; il faut du repos,
de l'oubli, du silence, de l'espace autour de soi. Que de conditions,
même quand on a en soi la faculté de les trouver, pour jouir des
choses délicates de l’amour accompli. !
*
François
de La Rochefoucauld a exposé les raisons de la prospérité de la
négativité : « Rien n'est si contagieux que l'exemple,
et nous ne faisons jamais de grands biens
ni de grands maux qui n'en produisent de
semblables. Nous imitons les bonnes actions par émulation, et les
mauvaises par la malignité de notre nature que la honte retenait
prisonnière, et que l'exemple met en liberté. »
Rendre
la malignité encore plus maligne, en la livrant fièrement à la
publicité — et la honte, honteuse — est donc le programme de
toute domination moderne, c’est-à-dire s’appuyant sur la
dissolution — tandis que les formes anciennes ordonnaient de
combattre la première, et d’accentuer la seconde.
Plus
généralement, c’est aujourd’hui le moyen qu’il conviendra de
préférer à tout autre pour dissoudre les peuples — qu’unissent
toujours de mauvaises et belliqueuses raisons — et les individus,
dans le même mouvement ; — ce qui permettra de s’en assurer le
meilleur contrôle et d’en tirer le meilleur profit.
*
La
beauté de l'amour consiste à aimer un être honnête et délicat —
en l’étant soi-même.
*
La
galanterie suprême de l'amour est de nous faire vivre des
choses miraculeuses d'une manière habituelle.
*
C’est
un homme très averti de la malice humaine qui a pourtant écrit —
le plus exquisément et le plus justement — sur la constance en
amour : « La constance en amour est une inconstance
perpétuelle, qui fait que notre cœur s'attache successivement à
toutes les qualités de la personne que nous aimons, donnant tantôt
la préférence à l'une, tantôt à l'autre; de sorte que cette
constance n'est qu'une inconstance arrêtée et renfermée dans un
même sujet. »
*
Je
ne suis pas l'un des prophètes pour ces temps présents bien que le
silence m'enveloppe. Ce que j’ai à dire à quoi serait-il bon au
monde d’aujourd’hui de l’apprendre. Il a déjà les procédés
de la mode, ses martyrs et ses morts-vivants, et dix mille sortes de
partisans de dix mille mouvements, tous plus fanatiques les uns que
les autres : qu’il s’en contente. Je ne viendrai pas en
grossir les rangs.
Je
persévère dans la voie que je me trace et cette voie est désormais
ouverte ; nous y serons longtemps seuls à marcher à deux —
et c’est tant mieux —, mes idées manqueront à ce monde et à
ceux qui l’adopteront : hommes d'ordre ou transgressifs.
Je
ne suis pas davantage un transgressif qu’un homme d’ordre, les
deux me font pareillement horreur, et je m'établis au-dessus de leur
querelle, je romps d'avec l'alternative en assignant un nouvel axe à
l’art de vivre et d’aimer : je veux que le sensualisme
princeps, dépassement dialectique de la vieille opposition entre
le patriarcat esclavagiste-marchand — qui a, et aura, façonné
l’Histoire — et l’ancestral matriarcat préhistorique, préside
— s’il le faut sur les ruines de ce qui aura été l’Histoire —
à l'établissement de la Cité future, et je déplace tous les
signes : ce qui fut négligé ne doit plus l'être et ce qui ne
l'est pas encore le deviendra sans faute ; ma révolution la
voilà toute, elle s'amorce sous nos yeux et mes idées la
réfléchissent.
Ce
n'est pas l'utopie que je professe, c'est une vérité que
j'entrevois.
R.C.
Vaudey
Juillet
2012
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