Quand nous sommes très forts, – qui recule ? très gais, – qui tombe de ridicule ? Quand nous sommes très méchants, – que ferait-on de nous ? Parez-vous, dansez, riez – Je ne pourrai jamais envoyer l'Amour par la fenêtre.
Arthur Rimbaud. Illuminations.
[… ]
J'ai
écrit dans le Manifeste sensualiste, pour des "artistes",
au sens de Nietzsche, en peu de mots, que, soit on a la chance de
pouvoir jouir, avec quelques autres, de soi et du monde, du
"merveilleux de l'amour et de l'amour du merveilleux",
d'avoir donc une belle âme, préservée ou en partie poétiquement
reconstruite dans l'extériorité au monde, soit (enfin, pour les
quelques-uns qui veulent poursuivre l'exploration et l'explicitation
théorique et poétique du mouvement et du sens du monde, et donc lui
donner son sens) on doit s'attaquer à sa propre impuissance
poétique, orgastique, sentimentale, théorique, très directement,
et puis se reconstruire, aussi lyriquement que faire se peut, dans la
poésie et la volupté délectées, savourées, aussi loin que
possible du travail, de la famille, de la patrie, de l'idolâtrie et
des impérieuses routines. Arrangez-vous !
[… ]
Les matamores et les extravagants du stylo ainsi que les déprimés du clavier, les peines-à-jouir-à-peine nous font de la peine –- et nous font rire aussi, soyons honnêtes –- comprimés entre leurs plans d'épargne et leurs plans de carrière, lorsqu'ils veulent se frotter à ces questions pour l'examen desquelles leurs vies ne sont pas faites ; mais qu'ils se rassurent nous méprisons aussi les autres –- tous plus ou moins sectateurs de l'idéologie maffieuse dominante, de ses valeurs et de ses servants médiatisés –- ceux qui, apparemment à l'inverse, s'éclatent, en nouveaux barbares glamourisés ; et le monde semble d'ailleurs vouloir absolument vérifier l'analyse du caractère masochiste qui veut toujours éclater, s'éclater : la tunique de Nessus, la peau de chagrin du malheur se resserre mortellement, dans un monde sans pitié, sur l'homme-sandwich, l'homme porte-marchandises, l'homme vide-ordures, l'homme vide-marchandises, dans ce monde où le terroriste-suicidaire-explosif semble être le modèle absolu de la folie ordinaire, et, pour nous, parfaitement compréhensible, du temps. "Le besoin anormal de représentation" ici ne suffit plus pour compenser "un sentiment torturant d'être en marge de l'existence" : il faut éclater !
Éclater ou jouir
(goûtez ce dernier mot !)
Voilà la question centrale de l'Humanité.
(goûtez ce dernier mot !)
Voilà la question centrale de l'Humanité.
Ceux
que le plaisir et la jouissance et leurs raffinements terrorisent
tant (ou énervent, dépriment, ou font doucement rigoler : c'est la
même chose) sont justement ceux qui (dans le dégoût ou le sport
sexuels, les affaires, le pouvoir, le militantisme, la famille, les
carrières, la consommation, les religions, la guerre, bref les
compulsions, etc.) sentent tant la mort, dont ils savent, au fond,
qu'elle les a déjà saisis.
Jouir
puissamment, paisiblement, voluptueusement, de l'amour et du Temps,
en découvrant dans l'égalité des amants les charmes d'une
humanité à peine rêvée, à venir, voilà pour nos chers talibans,
nos chers enseignants, le programme post-idolâtres, post-économiste
et post-analytique que les Libertins-Idylliques de l'Avant-garde
Sensualiste offrent pour la fin de la préhistoire : que
l'irrépressible mouvement de la révolution du monde qui se déroule
sous nos yeux soit mis au service de l'amour et de la poésie, et de
l'égalité des amants (chers talibans, chers enseignants) ; que le
monde et les situations et les caractères soient reconstruits dans
ce but-là. La fin et le moyen. Sur les ruines de tout ce qui dans le
courant du millénaire va disparaître. Disparaîtra.
C'est
un beau programme ; beaucoup plus raffiné –- et qui s'appuie sur
une analyse de l'aliénation beaucoup plus subtile, mais qui en même
temps a été infiniment plus directement confrontée à l'archaïque
de celle-ci –- que le programme de Marx : la chasse, la pêche le
matin, et la critique-critique le soir... (et puis Venise n'est-elle
pas le modèle minimal de la cité "écologique" du futur,
tout en matériaux recyclables...)
Vraiment,
on se demande ce que feraient sans nous autres beaux
Libertins-Idylliques, les militants de tout poil et tous les gardiens
de musée (et aussi leurs arrière-petits-enfants) -– si dépourvus
d'imagination et d'expérience heureuses de la vie -– toujours
prêts à sauver le dernier cannibale de Bornéo, ou à admirer le
premier "artiste" cannibale qui se présenterait, mais si
prompts à nous dénier, à nous les voluptueux –- et alors que
nous sommes l'avenir de l'Homme –- jusqu'à l'éventualité de
l'existence ; toujours voulant sauver le monde mais sans jamais
savoir pour
quoi faire...
C'est
de tout cela, entre autres choses, dont parle le Manifeste
sensualiste,
en corrigeant, en passant, la théorie-critique du Spectacle -–
assez peu de choses, donc... –- ce que l'on pouvait facilement y
lire ; ce sur quoi on pouvait facilement écrire.
Mais
bien sûr, tout le monde le sait maintenant : "Pour savoir
écrire, il faut avoir lu, et pour savoir lire, il faut savoir
vivre."[…
]
Fin
de partie.
JEUNES
GENS, JEUNES FILLES
Quelque aptitude au dépassement, au jeu
Et à l’amour abandonné.
Sans connaissances spéciales.
Si intelligents ou beaux,
Vous pouvez donner un sens à l’Histoire
AVEC LES SENSUALISTES.
Quelque aptitude au dépassement, au jeu
Et à l’amour abandonné.
Sans connaissances spéciales.
Si intelligents ou beaux,
Vous pouvez donner un sens à l’Histoire
AVEC LES SENSUALISTES.
Ne
pas téléphoner ; ne pas se présenter.
Vivez, aimez, écrivez, créez.
Vivez, aimez, écrivez, créez.
Précisions sensualistes. (Octobre
2002.) in Avant-garde
sensualiste n° 1 et L'Infini n° 87
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