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Distinguished foreigner
Acrylique sur papier
22 juillet 1993
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Les
sensualistes qui sont sans traditions (cf. A.S. 1) puisqu'ils
sont justement faits de ce bois dont sont faits les bâtons qui
brisent les traditions et les idoles, et qui sont, aussi, comme
aurait dit celui qui habitait la préfecture de Tchen, réellement
“sans appui”, ont jugé qu'il était bon, dans ce numéro, de
préciser un peu plus quel était ce point de vue, inédit, qui est
le leur. Ce point de vue de l’homme intuitif.
Certains
ont fait remarquer, justement, à la considération de nos
œuvres et de nos écrits — et, également, parce qu’à leur
origine ni les existences, ni les réflexions théoriques des
sensualistes n’avaient été déterminées par des considérations
littéraires ou artistiques – mais bien plutôt par des fulgurances
poétiques — que ces fulgurances sensualistes marquaient le retour
de l’homme intuitif sur la scène de l’histoire.
C’est
bien ce retour que nous manifestons, et qui marque à nos yeux le
dépassement, dans les arts comme dans les lettres, des désormais
surannées bigoteries tant du nihilisme d’Etat que du retour à on
ne sait trop quel autre ordre “moral” et esthétique antérieur —
sur lequel même ses partisans ne parviennent à s’accorder, tant
ils se haïssent les uns les autres —, ou que des différentes
formes de la consolation, indigènes ou allogènes.
On
le sait : “Il y a des époques où l'homme rationnel et l'homme
intuitif se tiennent l'un à côté de l'autre, l'un dans la peur de
l'intuition, l'autre dans le dédain de l'abstraction ; et le dernier
est presque aussi irrationnel que le premier est insensible à l'art.
Tous deux désirent dominer la vie : celui-ci en sachant affronter
les besoins les plus importants par la prévoyance, la prudence, la
régularité ; celui-là en tant que héros “trop joyeux”, en ne
voyant pas ses besoins et en ne prenant comme réelle que la vie
déguisée en apparence et en beauté.”
On
sait également que : “Là où, peut-être comme dans la Grèce
antique, l'homme intuitif dirige ses armes avec plus de force et plus
victorieusement que son adversaire, une civilisation peut se former
favorablement, la domination de l'art peut se fonder sur la vie.
Cette dissimulation, ce reniement de l'indigence, cet éclat des
intuitions métaphoriques et surtout cette immédiateté de
l'illusion accompagne toutes les extériorisations d'une telle vie.
Ni la maison, ni la démarche, ni le vêtement, ni la cruche d'argile
ne trahissent que la nécessité les atteignît : il semble qu'en eux
devaient s'exprimer un bonheur sublime, une sérénité olympienne et
en quelque sorte un jeu avec le sérieux.
Tandis
que l'homme conduit par les concepts et les abstractions n'en fait
qu'une défense contre le malheur, sans même obtenir le bonheur à
partir de ces abstractions, tandis qu'il aspire à être libéré le
plus possible des souffrances, au contraire, posé au cœur d'une
culture, l'homme intuitif récolte déjà à partir de ses
intuitions, à côté de la défense contre le mal, un éclairement
au rayonnement continuel, un épanouissement, une rédemption.”
Dans
ce sens précis, on peut dire que les sensualistes — au sens
vingtetunièmiste du mot — marquent, effectivement, le
retour de l’homme intuitif sur la scène du monde.
Cet
homme intuitif, dans cette neuve et inédite manifestation,
sensualiste, libertine-idyllique, a bien entendu sa vision
personnelle de la vie et de l’art — dont il n’abandonnerait
pour rien au monde la définition à “l’homme conduit par les
concepts et les abstractions”, qu’il se présente sous sa forme
psycho-rigide, dite “réactionnaire”, ou, à l’inverse de la
même pauvre médaille, furieusement livrée à la “décomposition”,
dite “progressiste”; ni même à sa tranche “spiritualiste
” — tout comme il a sa vision personnelle de l’amour (qu’il
réinvente) et de la conjonction charnelle des sexes, jusqu’à lui
opposés; — qui s’oppose aux visions qu’en véhicule
habituellement la société de l’injouissant conceptualisant.
Dans
la société de l'Injouissance (comprise comme stade actuel du
développement mondialisé et unifié des sociétés
esclavagistes-marchandes devenues spectaculaires), dans cette société
démocratique-populiste, on n’entend plus parler que des
employés qui s’adressent à d’autres employés ; on connaît
leur vision de la sexualité : une pulsion irrépressible,
auto-érotique, où l’autre n’apparaît que comme prétexte à la
consolation, au défoulement ressentimental, à l’arrivisme social
ou même à la fuite mystique “dans la jouissance voluptueuse du
néant”.
Pour
le reste, le spectacle amuse son monde avec le kitsch des “amours”
des médiatiques : vedettes de cinéma, de la chanson etc. lorsqu'il
n'organise et n’exploite pas une fascination hypnotique pour les
affaires d'argent et les arrangements sociaux des responsables du
personnel politique, drapés avantageusement sous les atours de leur
“vie de famille” nimbée par la “passion amoureuse” “idéale”
ou, à l’inverse, conflictuelle.
Mais
tout le monde sait bien, au fond, même encore aujourd'hui — et
même si cela aurait été évidemment plus clair encore pour ceux
qui lisaient il y a un peu plus de 200 ans — que tous ces gens ne
sont que les servants du spectacle, chargés du divertissement,
chargés des affaires d'argent, ou des affaires politiques etc., et
qu'à ce titre chacun d'entre eux poursuit bien plus évidemment les
buts que lui fixe son “état dans le monde”, que l'amour et la
poésie et les joies d'un libertinage plus ou moins idyllique, qui
demandent une sorte de désintérêt “d’aristocrates-nés” pour
toutes ces choses, que seuls certains membres des sociétés
anciennes ont pu connaître, et qui dans les temps présents et le
passé récent n'ont pu être le fait que de ce que l'on a appelé la
bohème, précisément parce que ceux qui la composaient,
manifestaient, dans le meilleur des cas, un grand désintérêt pour
toutes ces histoires de “vie” de famille, d’intégration
sociale, d'argent, de pouvoir et, bien entendu, de “vie”
professionnelle.
Cette
si aimable bohème où — à l’inverse de ce que moquait la
vieille blague de comptoir, sur la misère des employés et de leurs
“patrons” — les femmes cherchent des lendemains riches
d’aventures et les hommes des aventures riches de lendemains.
Il
y a donc un amour des poètes comme il y a un amour des comédiens,
des hommes politiques etc. qui est en partie déterminé par
l'existence, l'emploi du temps des uns et des autres ; et cet amour
de l’homme intuitif sensualiste s’oppose à celui de l’homme
séparé de la puissante intuition du présent et donc dominé
(jusque dans sa vie “sexuelle”) par des abstractions, qu’il
se présente dans sa version “libérée” (plus ou moins trash),
dite “progressiste”, dans sa version “contrainte” (plus ou
moins bigote), dite “réactionnaire” ou dans sa version
“consolée” (plus ou moins illuminée), dite “spiritualiste”.
L'amour
des poètes donne le sens et le but du monde, et comme on pourra le
comprendre en lisant la suite de ce recueil, nous “travaillons”,
par nos œuvres et nos écrits, à l’apparition de ces hommes et de
ces femmes refusant tout de ce monde — mécaniste et religieux —
de l’injouissance, de ce monde de la sensibilité, du sentiment et
de la sensation perdus, et dans lequel “tout ce qui était
directement vécu s’est éloigné dans une représentation” ;
nous “travaillons” à l’apparition d’une nouvelle jeunesse
ardente et légère : sans âge. A l’apparition d’une nouvelle
bohème ; d’une nouvelle noblesse.