Juillet 2006
Cher
ami,
Suite
à tes réflexions, j'ai fait, comme tu me le demandais, ce petit
texte (en forme de private joke et imprécis à souhait) pour
un futur dictionnaire, indien ou chinois probablement, du IIIe
millénaire, qui reprend notre idée de l'Avant-garde sensualiste
comme manifestation consciente, déterminée, résolue, de cette
pulsion vers la grâce, la délicatesse et l'abandon dans la
jouissance (jouissance de la vie, du Temps, et de l'amour
charnel) que l'envahissement et la domination de l'histoire et du
monde par les pulsions sadiques et masochistes avaient, depuis bien
longtemps et pour presque tous, occultée.
Tu
m'écrivais également que la destructivité et l'auto-destructivité
ayant formé (pour mieux frapper les esprits) des noms et des
adjectifs à partir des noms des écrivains ou des poètes, comme
l'on voudra, qui les avaient exposées mieux et plus que quiconque,
il fallait en créer d'autres pour qualifier cette pulsion, la
plus primitive de toutes, qui veut l'abandon à la joie, à la
douceur et à la puissance dans la non-intentionnalité et dans
l'amour charnel, et, aimablement, tu suggérais, par exemple, vaudéen
pour l'opposer à sadique ou masochiste, puisqu'il est
certain, écrivais-tu, que j'ai le premier et plus que quiconque osé,
poétiquement, définir, affirmer, exposer, célébrer, dans
son détail et son mouvement même, cette pulsion qui veut et qui
mène de la reconnaissance tendre et passionnée de l'autre à la
contemplation extasiée, immergée dans la source profonde du Temps,
en passant par l'extase harmonique que j'ai ainsi définie et
dégagée de tout le reste, les autres ne l'ayant pas connue ou
l'ayant oubliée, ou n'ayant pas cru devoir en parler sinon
vaguement, parmi tant d'autres choses et sans insister. Ce qui, je te
le fais remarquer, m'a permis de corriger, dans le même mouvement et
pour la première fois, le fameux schéma binaire freudien, si
universellement repris (quoiqu'il soit tout à la fois le signe de la
misère des temps modernes et le schéma qui les reconduit), dans
lequel s'opposent le principe de plaisir et le principe de réalité,
en mettant en évidence le troisième principe (qui est
en fait le premier, “hors de discussion”, le plus “primitif”
et l'essentiel – même si totalement ignoré) : le principe
de jouissance. (A.S 2. page 85 ; A.S 3. page 145)
C'est
d'ailleurs cela que certains m'ont reproché : que mon œuvre peint
ou mes écrits ne soient, en quasi-totalité, que cette
transcription, toujours répétée, de l'expérience de l'une
(l'extase harmonique) et de la manifestation de l'autre (le
principe de jouissance et sa puissance extatique).
Mais
tu sais que j'ignore ces critiques : tout d'abord, je crois que ni
les écrits ni les œuvres ne doivent répondre à la demande sociale
mais, au contraire, corriger cette dernière en éclairant ce qui lui
reste étranger : ce principe de jouissance tel que nous
l'avons dégagé, maintenant nommé et mis en pleine lumière, et les
raisons diverses de son occultation pluriséculaire ; ensuite,
mesurant l'incroyable chance qu'il y a à avoir rencontré la “Dame”
et à avoir pu créer avec elle les situations (toujours incertaines
et parfois même inconfortables) qui font que je suis si souvent et
depuis si longtemps enjoint et en joie de faire cet Éloge de
l'Insouciance, donc cet Éloge de la Jouissance, je crois
qu'il faut partager cette chance ; enfin, je me dis que si Sade (en
explorateur et en libérateur de la haine), de son côté, et
dans le domaine qui était le sien, n'avait pas non plus hésité (il
n'avait pas, je pense, le choix.) à insister et à ne pas démordre
de ce qui l'enfermait en lui-même, pourquoi devrais-je donc (en
explorateur et en libérateur de l'amour) ne pas insister sur ce
qui me libère. Ai-je, d'ailleurs, le choix ?
Pour
en revenir à cet adjectif de “vaudéen”, je te suggère cependant
cet autre d'héloïséen (qui me fait penser à “élyséen”,
relatif à l'Élysée, séjour des bienheureux... dans les
mythologies grecque et romaine) puisque c'est à Héloïse et à sa
grâce, son équilibre et sa puissance sans appel que je dois,
exclusivement, tout ce que j'ai vécu, écrit ou peint de beau depuis
la création de l'Avant-garde sensualiste, le 15 décembre
1992 (chez David, face à l'océan Indien), et cette grâce d'avoir le
premier pu définir l'extase harmonique pour l'avoir vécue et
pour la vivre, à l'exclusion de tout autre chose, comme un
enchantement toujours ascendant depuis cette époque, et parce que,
plus profondément encore, les œuvres d’Héloïse* me paraissent
transcrire plus délicatement que les miennes – qui trahissent une
âme plus tourmentée – ce dépassement de l'antique séparation
entre les sexes, d'une part, et, d'autre part, de l'enfermement du
génie créateur de l'Homme dans la pauvre opposition entre
conformisme bien-pensant et provocation plus ou moins délirante.
D'autres
nous ont dans le même temps exposé les joies ou les fatalités du
célibat, du libertinage léger, du “contrat libertaire”, ou de
la “nuit” “sexuelle” mais sans jamais pouvoir nous révéler
que la non-intentionnalité et l'abandon, en comme-un, aux puissants
mouvements spontanés des grâces corporelles et sentimentales, dans
l'amour charnel, seuls, lui donnent cette grâce d'ouvrir à l'extase
poétique et à la jouissance du Temps ; d'autres encore se sont
voulus les prêtres et les servants de la puissance féminine
divinisée, autonomisée, quand d'autres, plus franchement tarés,
venaient et viennent exalter les plaisirs mauvais (ils sont d'époque)
qu'il y a à utiliser ou à “révéler” les “penchants
destructeurs ou autodestructeurs, addictifs, anxieux” chez les unes
ou chez les autres, pour les “jeter (ces unes ou ces autres) dans
la luxure, les offrir à des “jeux” pervers, les maculer de
sperme, de sang et d'excréments.”
Donc,
dans notre étrange et mauvaise époque où il vaut mieux paraître
(et être) haineux que gracieux, hargneux que galant, où
l'affirmation du sadisme le plus extrême et le plus retors vous
garantit d'exercer d'emblée la fascination la plus totale sur les
masses atomisées, et où, à l'inverse, des excès, plus ou moins
fabuleux, dans le masochisme vous assurent tout de suite le soutien
fasciné de quelques milliards de zombies idolâtres, nous n’avons
pas grand mérite à être plutôt uniques sur ces questions
.
Il
est regrettable d'avoir la nécessité de se faire les hérauts de
cette nouvelle manifestation de ce courant libertin et poétique
européen – qui trouve, pour partie, ses origines dans l'amour
courtois – que nous manifestons, qui réapparaît ainsi riche de
tous les enseignements que lui donne sa compréhension-dépassement
du nihilisme particulier qui s'est déployé sur et à partir de ce
continent, et comme délivré de ce qui l'entravait, et, aussi, pour
ainsi dire, parvenu à maturité, jusqu'à une maturité telle
qu'elle célèbre sans détours l'abandon au puissant
mouvement de la volupté tendre, caressante et emportée, dans
l'amour charnel. Il est regrettable d'avoir à faire cela dans une
époque qui inspire un tel effroi, et si généralisé, que tous ou
presque oscillent addictivement et “ludiquement” entre ces
deux attitudes : celle qui consiste à se transformer en terreur et
cette autre qui consiste à s'entraîner à en subir les excès.
C'est
un cercle de vices : puisque, visiblement, rien de bon n'attend les
humains, ils s'entraînent déjà au pire, et, ce faisant, ils
s'entraînent vers le pire.
L'apparition
dans les arts, la théorie, la poésie, d'une volonté lucide,
consciente et déterminée, de volupté, amoureuse, gracieuse,
extatique, le chant ininterrompu qu'elle procure, tant qu'elle
dure, que l'on voit se manifester au travers de nos œuvres et de nos
écrits, traduit peut-être ce mouvement – qu'il me plaît de
donner, comme une touche de Lumière heureuse, dans ce tableau
que je peins des Hommes et de leur histoire : le monde, au travers de
la décomposition et de sa violence destructrice quasi-inextinguible,
va vers la reconnaissance de l'autre et la jouissance puissante et
paisible du Temps.
Quelque
chose s'élève, avec la reconnaissance de soi-même et de
l'autre, à travers la vie, et quelques espèces.
Quelques
très rares êtres vivants, sur cette Terre, sont capables en
regardant un miroir de s'y reconnaître.
Nous
autres humains mis à part, les grands singes, les éléphants,
peut-être les dauphins. Dans très peu d'espèces – ce sont
d'ailleurs les mêmes – les individus montrent de l'empathie pour
leurs congénères.
À
ce propos, j'ai vu récemment comment, dans un parc animalier, un
jeune gorille de près de deux cents kilos (après seulement deux
mois de vie en commun avec deux jeunes femelles qui au départ
l'avaient rejeté et attaqué violemment et contre lesquelles il
avait riposté tout aussi farouchement) faisait si délicatement
l'amour à l'une d'elles, qui dans le dernier mouvement de leur
accouplement l'attirait finalement dans ses bras, face à face,
infiniment tendrement.
Le
spectacle, dans notre espèce, d'avortons (mâles ou femelles) d'à
peine 100 kilos qui peinent-à-jouir-à-peine d'en éclater d'autres
(mâles ou femelles) et de femelles et de mâles tordus qui jouent à
faire mal en se faisant, par des mâles ou des femelles, faire mal,
et toutes les variantes de leur “sexualité” dans laquelle
toujours une forme ou une autre de l'intentionnalité maladive et/ou
mauvaise domine et empêche l'abandon aux puissants mouvements
spontanés des grâces corporelles et sentimentales, ce
spectacle, lorsqu'on le compare à la délicatesse de ces monstres de
puissance et de force physique que sont les gorilles, quels que
soient leur poids ou leur sexe, fait sentir à quel point
l'assujettissement, la castration, l'esclavage ont rendu folle (de
rage, de misère, de désespoir et de souffrance) l'espèce humaine
dans son ensemble.
Ce
qui explique, à son tour, pourquoi, parmi toutes les espèces, elle
soit la seule pour laquelle infliger intentionnellement la souffrance
ou la mort soit une source de plaisir et de distraction.
Les
gorilles en captivité se reproduisent puisqu'on ne leur permet pas
de faire autrement et qu'on encourage, à l'inverse, cette
reproduction. Mais les femelles ont, dans ces conditions, le plus
souvent, cette noblesse triste d'abandonner leur nourrisson.
Tout
le malheur et la folie des hommes viennent d'avoir accepté de se
reproduire en esclavage.
Et
d'avoir tissé l'étoffe de leurs sociétés des mauvais rêves nés
du goût et de l'habitude de la servitude et de l'oppression ; et de
leur absence à eux-mêmes et au monde, dans ces conditions.
Ainsi
ont-ils perdu “la suprême simplicité” qu'ils possédaient
encore dans “la plus haute Antiquité”, pour le dire comme
Shitao.
C'est
à partir des résultats excessivement négatifs de toute l'histoire
de cette perte, mais riches de sa compréhension et des différents
trésors civilisationnels – que les humains ont créés ou
découverts à travers cette histoire – qu'il va falloir construire
les situations qui réconcilieront les Hommes, entre eux, avec
eux-mêmes, et avec le monde, en les resensibilisant : à la
merveille poétique du monde et à la leur.
Pour
en revenir au texte (pour le dictionnaire, vraisemblablement
indien ou chinois, du troisième millénaire, donc) dont
je te parlais, le voici, en partie détourné d'un dictionnaire
contemporain :
Sade
(Donatien Alphonse François, comte de Sade, dit le
Marquis de) Ecrivain français. Milieu du XVIIIe siècle.
Début du XIXe siècle. Son œuvre, qu'on a longtemps considérée
uniquement sous l'angle du sadisme forme le double névrotique et
subversif selon certains (réactionnaire selon d'autres...) des
philosophies naturalistes et libérales du Siècle des lumières.
Sacher-Masoch
(Léopold, chevalier von).
Ecrivain autrichien. XIXe siècle. Il est l'auteur de contes
et de romans où s'exprime un érotisme dominé par la volupté de la
souffrance (le masochisme).
Angilbert
(Héloïse. Noblesse de fortune. Libertine-Idyllique.) Aventurière,
“poète” et “artiste”. Française. Fin du XXe siècle –
XXIe siècle. Son œuvre dans laquelle s'exprime un érotisme
flamboyant dominé par la volupté, amoureuse, gracieuse, manifeste
délicatement cette pulsion héloïséenne qui, en
passant par l'extase harmonique, veut et mène de la
reconnaissance tendre et passionnée de l'autre à la
contemplation extasiée, immergée dans la source profonde du Temps.
Vaudey
(R.C. Gentilhomme de fortune et Libertin-Idyllique.) “Poète”,
“philosophe”, “peintre” et aventurier. Français. Fin du XXe
siècle - XXIe siècle.
Son
œuvre, qu'on a longtemps considérée uniquement sous l'angle
vaudéen, forme le double subversif selon certains
(réactionnaire selon d'autres...), post-analytique et
post-économiste, des philosophies technicistes, névrotiques,
nihilistes (sadomasochistes) qui avaient fait de la Terre, du vivant
et des humains leur champ d'expérimentation, particulièrement
durant le(s) Siècle(s) des Ténèbres.
Dès
le début du IIIe millénaire (Manifeste sensualiste. Achevé
d'imprimer, le 7 mai 2002 ; L'Infini. Gallimard.), au
travers de la vie et des œuvres de ces deux Libertins-Idylliques
(voir ce mot) – après deux siècles d'exploration, d'illustration
sans partage et de débondement terrifiant des pulsions sadiques et
des pulsions masochistes – on atteignit et se manifestèrent enfin,
explicitement, dans l'amour charnel, dans les Beaux-arts et dans les
Lettres, les pulsions qualifiées depuis d'héloïséennes ou
de vaudéennes, premières expressions, revendiquées comme
telles, tout à la fois du dépassement de l'ère de la métaphysique
et donc du sado-masochisme, et, d'un même mouvement, de ce “premier”
principe de jouissance, comme ils le nommèrent, que, dans le
tableau qu'ils peignirent du monde, ils mirent (plus ou moins
contrarié) au cœur de tout et du Temps.
Avant-garde
sensualiste 4 (juillet 2006-mai 2008)
* Le 10 février 2001
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Héloïse
Angilbert
Croquis
préparatoire à La Vie
2001
|
À
propos d'Héloïse Angilbert et de son art…
Héloïse
Angilbert a un parcours atypique dans l'art du moment. Se situant
elle-même dans la lignée de ceux qui de Marcel Duchamp à Arthur
Cravan, et quelques autres, ont fait « en passant » de la vie le «
huitième art » (selon l'expression des lettristes internationaux),
elle ne croit pas que l'activité de l'artiste doive être
nécessairement toujours publique. [… ]
Aujourd'hui
cependant, au tournant d'un millénaire et à l'achèvement d'un
siècle dont tout le monde peut mesurer aisément tout ce qu'ils n'en
finissent pas d'apporter de monstrueux à l'histoire des Hommes, elle
se décide, forte de quelques amitiés à travers le monde et d'une
dizaine d'années de vie consacrée à absolument rien d'autre qu'aux
aventures théorico-poétiques liées à la tentative qui est la
sienne de définition de la richesse (c'est-à-dire
du sens même de l'existence)
et liées également à cette volonté — compréhensible chez cette
jeune femme — de dégager de la barbarie du siècle écoulé les
éléments qui pourraient servir à une humanisation éventuelle des
Hommes et de leur histoire, elle se décide, dis-je, à se connecter
ou à se reconnecter avec les réseaux de la communication publique
de l'art, nonobstant les discours sur la prééminence des réseaux,
pour y faire résonner quelques pertinentes questions et quelques
belles réponses qui, selon elle, seules resteront quand tout aura
été oublié des conditions présentes faites à l'art et à la vie.
Se
plaçant très au-delà des conditions présentes de la misère et de
l'inhumanité, elle envisage la question de la richesse —
c'est-à-dire, encore une fois, la question du sens de l'existence —
en supposant résolues les questions liées à la juste répartition
des ressources, aux conditions matérielles de la survie des Hommes,
et même celles liées à leur réduction à ce
presque-rien statistique par
l'économisme déchaîné.
Très
clairement, alors que l'Histoire engloutit les Hommes dans les
charniers des guerres (religieuses, secrètes, économiques,
militaires…), leurs ruines et leurs décombres, tout en en
préparant sous nos yeux toujours de nouvelles et de plus barbares
encore, alors que les famines emportent les plus pauvres d'entre eux
(comme elle a pu le constater au cours de ses voyages à travers le
monde) pendant qu’une abondance frelatée et mortifère en menace
d'autres ailleurs (c'est ici…), et tandis que toute la violence et
la haine héritées de la barbarie des siècles précédents — et
que le chaos du temps présent ne manque pas d'exciter encore
davantage — s'insinuent et se débondent dans toutes les relations
sociales, familiales, amoureuses ou ce qu'il en reste, et que les
conditions même de la poursuite d'une si misérable inhumanité
sont plus généralement remises en question, Héloïse Angilbert, à
l'avant-garde d'un temps qui pourrait tout aussi bien ne jamais voir
le jour, refusant de réduire le sens de la richesse à la résolution
de ces problèmes, qui ressortissent plus à la barbarie qu’à
l'humanité, redéfinit la richesse comme pratique tendre, puissante,
élégante et raffiné de l'humanité. Pas moins.
Parmi
toutes les conditions préalables à cette exploration éventuelle et
à venir de l'Humanité par elle-même, qu'elle appelle de tout son
art, et outre bien entendu la résolution des si difficiles questions
que j'évoquais précédemment, et à laquelle elle essaie comme tout
un chacun de participer, je sais qu'elle est particulièrement
sensible à la question de l'établissement d'un rapport également
raffiné, tendre, élégant, intelligent, poétique et déclanisé
entre les hommes et les femmes, et que, plus généralement, elle
comprend son travail comme devant participer à cette indispensable
amélioration des mœurs partout où elle est nécessaire. On peut
être certain qu'elle utilisera tous les moyens à sa disposition
pour que, par-delà les nécessaires connexions encore à créer
entre les êtres, s'impose l'idée de la belle, délicate et raffinée
rencontre (celle de l'intelligence, de l'amitié ou de l'amour) dont
elle parle. Et elle aura raison.
C'est à la lumière de ces étranges
considérations — mais qui sont pourtant bien dans la lignée de
celles d'un certain nombre d'aventuriers de l'art et de la vie du
siècle écoulé — qu'il faut considérer cette installation
intitulée La
Vie qu'elle
déploie ici.
R.C.
Vaudey. Le 10 février 2001.
Le 12 mars 2002
Description de : LA VIE
et
de l'installation-vidéo-théorique : Manifeste
sensualiste
(Exposition :
Prolégomènes
à un troisième millénaire sensualiste ou non.
Juin 2001.)
L’Avant-garde
Sensualiste, qui redéploie
le genre du manifeste et ceux de la théorie et de la poésie,
redéploie également celui des arts qui doivent chanter les très
riches et très “grandes heures de l'Homme”, pour parler comme
Nietzsche
.
Ainsi le Manifeste sensualiste n'a-t-il pas attendu plusieurs années après avoir été écrit pour se retrouver au centre d'une nouvelle forme d'art. À peine avait-il été rédigé qu'aussitôt nous en fîmes, dans l'esprit de celui de qui avait fait Critique de la séparation, un montage vidéo qui se présentait ainsi : un écran noir avec une voix off, celle d'Héloïse Angilbert, lisant le Manifeste avec, de temps en temps, apparaissant sur cet écran, des cartons (“Pour en finir avec la Séparation” etc.), quelque chose entre Hurlements en faveur de Sade (que, cette fois, l'on aurait pu nommer Feulements d'amour en défaveur de Sade), et le film La société du spectacle, ce qui était une façon, avec le titre de l'exposition — pour Breton —, de saluer ceux à qui nous devions en quelque sorte ce beau voyage.
Mais
cette installation vidéo théorique — puisqu'il faut la nommer
ainsi — qui était jouée dans une salle sombre était elle-même
partie d'un tout
— qui est la vraie, et absolument inédite, réalité du Manifeste
sensualiste
— qu'elle composait avec une autre forme d'installation réalisée,
elle, d'un cube de lin écru de 3 m de côté, dans une pièce
contiguë, sombre elle aussi, cube à l'intérieur duquel on
apercevait — par un œilleton — le lit et les draps blancs
défaits d'amour, éclatant de l'extraordinaire blancheur
que leur donnait la lumière, noire, et les lettres : LA
VIE
(en rose, fluorescent, bien sûr) qui montaient et descendaient et
qui semblaient être responsables du grincement significatif — de
ce lit — que l'on entendait, installation qui est un poème, (comme
le Manifeste)
mais en trois dimensions, d'une jeune femme, à l'amour, et aussi à
l'amour charnel, et à leurs émerveillements ; et ce sont ces deux
éléments : l'humour et la poésie du lit qui grince et de LA
VIE
qui danse, associés aux propos que je tiens dans le Manifeste
et avec, pour y accéder (ce qui dans la réalité n'avait pas pu
être vraiment réalisé), un long labyrinthe composé de draps
blancs, qui constituaient une situation tout à fait neuve et
poétique — au-delà des bêlements sur la fin de tout — et qui,
pour ceux qui auraient pu en comprendre la portée, manifestait,
chargée d'un tout nouveau sens, et tout à fait inédite par la
forme de vie et d'association qui avait présidée à son
inspiration, cet art
neuf
— après tant d'années de famine poétique — où s'allient le
très personnel et l'impersonnel dont je parlais dans les Précisions,
où se déploie le style de chacun pour célébrer ce qui en même
temps dépasse l'un et l'autre, et qui est — en même temps qu'un
hymne à l'amour — un appel à la vie, à l'amour, et à leur belle
révolution historique nécessaire. Un art de la longue vue. Un art
de la longue vie.
Je
peux décrire facilement ce à quoi ressemble l'art des sensualistes
puisqu'il n'a été montré que très rarement au public. Mais,
puisque je l'ai décrit, on ne pourra pas dire plus tard qu'il était
impossible de faire en ce début de troisième millénaire une forme
d'art vraiment neuve, puisqu'on a vu qu'en reprenant des éléments
de l'ancienne avant-garde du cinéma, ou de sa destruction, du milieu
du siècle dernier, la vieille image familière et poétique du
labyrinthe, le principe de l'installation — qui n'est rien si l'on
n'y met pas un sens historique et personnel — et aussi, tout
simplement, l'écriture, bref en combinant quelques éléments que
l'on connaissait déjà, et seulement par l'interaction de ces
éléments placés dans cette perspective personnelle, historique et
philosophique-là, et évidemment grâce à la conjonction
particulière de ceux qui les avaient réunis (conjonction qui avait
d'ailleurs présidé à la création de ces éléments), on pouvait
faire quelque chose d'aussi poétique qu'un koan ou qu’une
calligraphie zen — que
l'on devait faire, également, au sortir d'un moment de grâce
; et
beaucoup dans ce que j'ai décrit de ces combinaisons d'éléments
théoriques et visuels avait été fait au sortir d'un instant de
grâce amoureuse
—, mais placés là aussi dans un
esprit de bouleversement tendre du monde.
Ceux
qui voudront de leur côté s'essayer à l'existence des
Libertins-Idylliques telle que je l'ai décrite dans les Précisions
(“Jeunes
gens, jeunes filles, quelque aptitude à l'amour abandonné et à la
poésie, si beaux ou intelligents, vous pouvez donner un sens à
l'Histoire, avec les sensualistes… Vivez, aimez, écrivez, créez
!”),
si la chance des rencontres leur sourit, et s'ils parviennent à s'en
donner les moyens, trouveront eux aussi, très facilement, ces
phrases
de réveil
d'un genre particulier dont je parlais, dont ils pourront faire
une très nouvelle et très ancienne poésie, et aussi
l'inspiration de nouvelles formes d'art pour marquer les très riches
et très grandes heures de leur propre humanité et de leur propre
histoire, en combinant ou non les éléments de l'ancien art du XXe
siècle, qui avait commencé avec Dada sur la base du : Rien
n'est vrai tout est permis
(qui sous-entendait quelque chose de violent et de négatif), XXe
siècle dont nous avons marqué le terme en retournant cette
proposition en un : Rien
n'est vrai tout est possible,
où le possible est chargé cette fois de toute notre puissance et de
tout notre désir poétiques créateurs positifs, XXe siècle enfin
qui a donné à l'art la plus grande liberté.
Ils
pourront ainsi enrichir l'histoire encore balbutiante de l'individu
et faire en sorte que l'on ne puisse plus dire que ce qui aura été
important dans leur vie n'aura pas laissé de traces, et qu'elle aura
été marquée, uniquement, par le Spectacle régnant; et ainsi, de
proche en proche, il est possible que l'intelligence de l'Histoire et
le feu de la passion et des beaux sentiments, les
beaux-arts amoureux,
qui améliorent si bien les mœurs, gagnent.
R.C. Vaudey. Le 12 mars 2002.
Le 10 janvier 2020
Héloïse Angilbert
Œuvre
numérique
Les
Amants volants
Juin
2006
|
Chère
amie,
Puisque
vous me le demandez, voici un très bref résumé de l’histoire et
une présentation de l’œuvre en question.
Nous nous sommes rencontrés, Héloïse et moi, à l’été 1992.
Nous
avons fondé avec quelques amis un mouvement « littéraire et
artistique » en décembre de la même année, sur les rivages
de l’océan Indien.
Dix
ans plus tard, les éditions Gallimard ont publié le Manifeste
sensualiste, que j’avais écrit, résumant nos recherches
poétiques et théoriques sur l’amour et le merveilleux, —
puisque tel est le sujet de ces recherches.
L’année
précédente, en 2001, Héloïse avait exposé — de façon
authentiquement « underground », puisque la « galerie »
était vraiment sous une rue — dans le cadre d’une manifestation
d’art contemporain, manifestation à laquelle elle a participé
également en 2002. On pourrait retrouver dans les archives de
quelques journaux les articles élogieux qui lui avaient été
consacrés.
Le
soutien aux gens de lettres et aux artistes — intermittents du
Spectacle — dans notre pays fonctionne ainsi : des séjours
en résidence, accompagnés de manifestations (publications,
interventions, expositions) ; le tout plus ou moins agréablement
accompagné de banquets et de mondanités, — elles aussi plus ou
moins plaisantes.
Vous
comprendrez facilement que notre « art », reflet
d’éblouissements intimes non programmables, n’a rien à
faire avec ce système, pourtant favorable aux artistes et aux
écrivains de métier.
Si
je devais faire un parallèle avec la vie religieuse, je dirais que
de même que l’on distingue le clergé séculier — qui agit dans
le siècle, donc, et qui ne dédaigne pas la pompe et le faste, dont
il se sert dans son œuvre d’édification des consciences (Bossuet,
en son temps, était une « star », si j’ose dire) —
des ordres réguliers, qui vivent dans le retrait du monde, où le
moine attend l’éblouissement mystique — attend de faire un avec
la Déité, aurait dit Maître Eckhart —, de même on pourrait
distinguer les artistes et les auteurs séculiers, l’immense
majorité, qui vivent dans leur époque et recherchent la célébrité,
la gloire et, plus secrètement, la satisfaction des travers que leur
donne leur injouissance mystique et voluptueuse — que nous sommes
les premiers à avoir diagnostiquée comme la vraie cause de la peste
émotionnelle qui marque l’ère sado-masochiste patriarcale —, et
les artistes contemplatifs, qui attendent tout des
éblouissements poétiques, et qui ne vivent que par et pour cela.
Si
l’on voulait vraiment réduire les gentilsHommes de fortune
que nous sommes, Héloïse et moi, à des « artistes » ou
à des « auteurs », c’est à cette deuxième catégorie,
je l’avoue très minoritaire, que nous appartiendrions. (Parmi les
« auteurs » modernes que l’on pourrait rattacher à ce
genre, je pense à Debord, à l’époque de Champot, — quoique son
contemplatisme ait été tout à fait du même ordre que celui de
Khayyam (éthylique plutôt qu'idyllique), et parmi les peintres du siècle dernier, et dans un style
très différent, je ne vois que Marthe et Pierre Bonnard, et
peut-être Yves Klein, — dont l’activisme professionnel et l’art
de traiter les femmes comme des pinceaux rebutent cependant notre
goût délicat).
Enfin,
vous savez que nous avons la chance de vivre dans un pays où l’on
peut encore préférer suivre l’exemple de Montaigne ou de Debord
plutôt que celui de telle ou telle tête d’affiche des Arts et des
Lettres contemporains, et c’est ce que nous avons choisi de faire.
Ainsi,
nous ne sommes pas et nous n’avons jamais été des personnages
publics, et ne souhaitons pas le devenir. On ne trouve pas de photos
de nous sur Internet, ce qui est un privilège dans cette époque où
le deepfake permet de faire dire ou de faire faire n’importe
quoi, à n’importe qui. Nous souhaitons plutôt rester dans
l’ombre, et le vrai luxe pour nous c’est de partager un verre de
vin avec nos amis musiciens, après un concert de musique baroque,
un soir d’été, dans le cloître d’un vieux monastère d’une
lointaine province. À mille lieues, donc, des mondanités
germanopratines (qui, soit dit en passant, sont un peu mises à
l’honneur en ce moment —, si j’ose dire.)
(Pour
ce qui est de cette affaire ((que Lacan avait diagnostiquée, par
avance, de façon lapidaire et définitive, en parlant du Banquet)),
j’ai, dans Poésies III, écrit ceci ,: « La « Raison
» du XVIIIe siècle ne fut pas un symptôme d'intellect
hypertrophié, mais de sensibilité contemplative — galante
atrophiée. Quand de telles « lumières » éclairent le monde, les
bas-fonds du caractère des humains — que le patriarcat, pendant
plus de 8000 ans, par les conséquences psychophysiologiques de
l’esclavage, avait dévoyé — ont tôt fait de se manifester ».
Suivaient : « Les transgressions des injouissants
aristocrates du XVIIIe siècle, infantiles, pervers-polymorphes et mondains, ont,
dans un premier temps, commencé par animer les salons des
quincailliers enrichis et ceux de la bourgeoisie des Lettres, puis
les clubs de vacances des ploucs (pour le dire comme Debord)
de la classe moyenne, pour finir par occuper le temps libre du
lumpenprolétariat le plus démuni ». Et aussi : « Ceux
qui dénoncent la stérilité sociale de la critique de la société
de l'injouissance oublient la noble fonction qu'exerce la
proclamation claire et nette de nos goûts et de nos dégoûts. »)
Pour
ne pas être totalement obscurs, nous publions depuis 2002 une revue
confidentielle — sur papier, jusqu’en 2012, et numérique depuis
lors —, dûment enregistrée à la Bibliothèque Nationale,
avec son numéro d’ISSN, où j’ai trouvé le lieu pour
déployer mon art de poète et de moraliste — au sens de celui qui
étudie les mœurs de son époque et de ses contemporains, et non de
moralisateur qui, lui, leur fait la morale.
À
vous,
R.C. Vaudey, le 10 janvier 2020
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