Ceux
qui veulent changer le monde —
quand ils veulent encore le changer —
sont ceux que ce monde a formés.
À
quoi ce monde les a-t-il formés, et surtout dans quel but ?
À
être tout à la fois les producteurs et les hommes-sandwiches
(volontaires, enthousiastes, fanatiques) de la marchandise : des
hommes producteurs d'ordures mais aussi vide-ordures,
vide-marchandises (volontaires, enthousiastes, fanatiques).
Comment
? En les libérant pratiquement et intellectuellement —
par un savant travail de propagande, cachant comme il se doit son nom, et de
déconditionnement-reconditionnement —
des limitations imposées, par l'ordre féodal et bourgeois, à leurs
fantaisies ressentimentales et aux folies compensatoires que leur
donnent les différentes formes de leur vie de misère.
Pourquoi
? Pour les instrumentaliser politiquement
dans
la guerre que mènent ceux qui les ont formés contre l'ancien ordre
féodal et bourgeois —
et ses multiples variantes et reliquats —,
et exploiter commercialement
la
mine — maintenant à ciel ouvert — de l’or noir
de leurs perversions et des pulsions destructrices et
auto-destructrices que leur donne leur injouissance
—, injouissance
elle-même
sous-produit de leurs vies de miséreux —,
pulsions destructrices et auto-destructrices canalisées (politisées,
alcoolisées, droguées, sexualisées, spectacularisées etc.) dans
le spectacle politique, et la production et la consommation marchande
exhibitionniste-festiviste
ou exhibitionniste-guerrière.
Le
capitalisme industriel contre le pouvoir foncier —
c'est-à-dire contre les restes de l'Ancien Régime —,
puis le capitalisme financier contre le capitalisme industriel : le
tout au service de l’usure et de la guerre de religion ; l'usure et la religion, c'est-à-dire ces symptômes d'une perversion historiquement dominante :
la névrose obsessionnelle.
L’homme
est un Libertin-Idyllique, un gentilhomme de fortune contemplatif —
galant ou n’est rien, sinon une brute superstitieuse : un
usurier,
ou une variante de leurs multiples larbins, fiers de l’être, ou de
leurs innombrables idiots utiles, larbins "rebelles", et
possédés par leurs souffrances névrotiques, déniées, et débondées — transformées en avant-gardisme de
foire.
En
paraphrasant, on peut dire : la liberté à laquelle aspire
l'injouissant moderne n'est pas celle de l'homme libre, mais celle de
l'esclave un jour de fête.
Sans
expérience du sens mystique-poétique de la vie, les projets que
l’on peut faire pour l’homme (l'exploiter avec une encore plus
grande outrance, ou, apparemment à l’inverse, auto-gérer les résultats du mouvement précédent
((humains, techniques etc.)) sous la forme d’une auto-exploitation
de ses propres folies réactives) ne sont que des rêves de chiens de
guerre conditionnés.
Bios
theorètikos
Une
civilisation ne vaut que par ceux auxquels elle permet l'existence
contemplative — non pas au sens de Platon mais au sens que précisait Arendt (clic) ; le catholicisme, en tant que réalisation de l’utopie
platonicienne, vaut par Maître Eckhart, Jean de la Croix, Thérèse
D’Avila, Bach et sa Messe en si mineur etc. ; Bach mais aussi tous les musiciens
baroques qui permettent aux « non-contemplatifs » de
connaître l'ineffable, de la seule façon possible : dans un
saisissement muet ; tous les musiciens baroques mais aussi les
architectes, les sculpteurs (Le Bernin) etc. —
et qu’importe le lamento philosophique, finalement calculateur, des Pascal, Nicole etc.,
qu’importent le délire “sexuel”, la souffrance, l'injouissance
sexualisées de Sade, qu’importent les divagations des
« philanthropes », des « nihilistes », des
« misanthropes », des « hédonistes » et de
toutes les variantes d'injouissants philosophiques.
La
seule chose qui juge d’une civilisation,
c’est la place qu’elle accorde —
et
qui doit être la première —
à
la contemplation et aux
contemplatifs, à ceux qui vivent la Beauté —
ou
qui permettent de la vivre —,
ce que même des écrivains
nihilistes,
comme
Cioran, savaient
encore au siècle dernier (« Il
y a une demi-heure, sur une affiche apposée sur la grille du cloître
de Saint-Sulpice, et qui annonçait L'Art de la fugue, un imbécile a
écrit en gros caractères : Dieu est mort. À
propos
de Bach, du musicien même qui témoigne que Dieu peut ressusciter,
dans l'hypothèse qu'il soit défunt, le temps que nous entendons
telle cantate ou telle fugue précisément. Le crétinisme
contemporain n'a pas de limites » Cioran, Cahiers 1957-1972.
)
« Le
monde moderne est un soulèvement contre Platon. » Nicolás
Gómez Dávila
La prééminence du calcul sur la vie contemplative, c’est ce qui va entraîner la ruine de cette vision spirituelle de la
société — qui
trouve son origine chez
Platon — au profit d’une société gouvernée par ce calcul et la
technique : l’accumulation obsessionnelle du Kapital, de l’or — équivalent
de la
merde, dans l’inconscient, selon Freud, et signe de la fixation au stade
sadique-anal —
étant censée compenser ce sentiment torturant d’être en marge de
l’existence qui taraude tous les injouissants, c'est-à-dire
ceux que plus rien ne rattache à
la poésie vécue, qui est ce saisissement, cet étonnement muet
qu’est la véritable contemplation.
Au début du troisième millénaire, les
contemplatifs — galants effectuent
l'Aufhebung
de l’ancienne vision platonicienne parce qu’ils mettent
fin à des millénaires de patriarcat*, qui lui-même n’était que
la réaction à la précédente domination matriarcale, et qu’ils
ramènent les
sens,
dont Nietzsche avait parlé mais sans pouvoir illustrer, par sa vie, son intuition
philosophique : seul
Ikkyu,
au Japon, avait déjà en partie réalisé cette fusion de la vie charnelle et
de la contemplation mystique, et aussi certains patients de W.
Reich, comme celui
qui lui rapportait la « soudaine et saisissante profondeur
qu’avait prise
le monde » (clic) après qu'il eut
commencé à pouvoir s’abandonner dans l’amour, après qu’il
eut
pu être saisi et emporté par les vagues du “réflexe orgastique”.
Pour le reste, la
société de l’injouissance est une bataille de chiffonniers
poétiquement, mystiquement, voluptueusement, charnellement,
sexuellement secs et impuissants — qui tournent en rond dans la
nuit (gavés de bruit, de fureur et de tout ce que l’on voudra) et
qui sont dévorés par ce feu que leur donne ce sentiment torturant d’être
en marge de l'existence — que cette agitation aggrave encore.
Le 21 juillet 2017
* La
passion de l'amour porte en soi le modèle d'une communication
parfaite : l'orgasme, l'accord des partenaires dans l'acmé. (R. Vaneigem. Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations.)
*
« Alcibiade lui dit un jour que les criailleries de Xanthippe
étaient insupportables : « J’y suis habitué, répondit-il, comme
on se fait à entendre constamment le bruit d’une poulie. Toi-même
ne supportes-tu pas les cris de tes oies ? — Oui, reprit Alcibiade,
mais elles me donnent des œufs et des petits. — Et moi, Xanthippe
me donne des enfants. » Diogène Laërce, Vies
et doctrines des philosophes de l'Antiquité.
À
propos du patriarcat : Socrate aurait eu deux femmes : à cause
de la sous-population, Athènes aurait autorisé les hommes à avoir
deux femmes : dans un groupe matriarcal, les femmes se seraient
autorisé autant d'amants qu'elles auraient voulus : la
démocratie athénienne est une démocratie de pédérastes — ce
que l'on savait déjà mais que l'on oublie un peu, tout comme le néolithique est l'invention de l'esclavage pour les hommes vaincus et de l’assujettissement de toutes les femmes (comme pondeuses au
service des hommes), ce qu'on dit assez peu, et invention concomitante de l'agriculture, ce que l'on met généralement en
avant —, les femmes grecques, se sachant pouvant être enlevées,
violées, pondeuses (acariâtres?!) ou mégères arrogantes du fait
de l’importance de leur dot : d’où les limites du
« contemplatisme » grec —
« contemplatisme » corrigé au milieu du XXe siècle par
une femme, Hannah Arendt, et déployé, à la fin du deuxième et au
début du troisième millénaires, par deux libertins idylliques
français, Héloïse Angilbert et R.C. Vaudey.
Supériorité
des Français sur les Grecs : quoi que l'on pense de Montaigne,
c'est une femme — et non un giton —, Marie de Gournay, sa « fille
d’alliance », fréquentant les premiers libertins —
c'est-à-dire les premiers libres-penseurs —, auteur
elle-même entre autres ouvrages de Égalité entre les hommes et les femmes et de Grief des Dames
— où « elle prône l’égalité absolue entre les sexes, ni
misogynie, ni "philogynie" » —, qui se charge
d'assurer la pérennité de ses écrits.