Lacan confondait la jouissance phallique et la jouissance génitale : en fait, il ignorait la seconde. Il l’ignorait théoriquement parce qu’il l’ignorait pratiquement.
… En même temps, cette emphase
sur la jouissance mystique, de la part de ceux pour qui elle est un mystère,
est touchante…
J’écrirai donc, pour ma part : pour
savoir écrire, il faut savoir aimer, et pour savoir aimer, il faut avoir
lu ; — par exemple, à vingt ans, Reich et La fonction de l’orgasme — et s’être coltiné, avec le courage et l’inconscience
de la jeunesse, avec le pourquoi de
ce que l’on rencontre, tout d’abord, lorsque l’on veut aimer charnellement l’autre, que l’on chérit
tant : c’est-à-dire, le plus souvent, à cet âge et même après, pour la
plupart : les « frictions immondes », plutôt que la « fruition du monde », bref, pour
le dire plus sérieusement, les pulsions partielles, sado-masochistes.
Pourquoi les gauchistes,
rejetant Freud et ces néo-freudiens, se sont-ils entichés de Reich ?
Dernier en date, dans un livre
sur la psychanalyse non-freudienne, un animateur socio-culturel normand —
pompeusement rebaptisé « philosophe » par le système médiatique —,
un conférencier, donc, qui, après un exposé à
première vue correct des thèses reichiennes, conclut que Mai 68 a donné
raison à Wilhelm Reich au-delà de toutes ses espérances, réalisant tout ce qu’il
avait attendu, souhaité, désiré…
Tiens donc !
Je donne à lire ici même et
après mon texte — que les vieux, qui ont trop de souvenirs pour avoir le
courage de l’amour, pourront passer, et les jeunes aussi, qu’il devrait
intéresser mais qui s’en moquent (et puis, aujourd’hui, qu’en
feraient-ils ?), et qui cherchent seulement à sauver leur peau — la
définition par Reich de ce qu’il considère comme le but de l’analyse, l’établissement d’un caractère génital, et je
parie, contre les falsificateurs de sa
pensée, que la lecture de ce passage clé de La fonction de l’orgasme fera rire de rage impuissante (c’est le
cas de le dire) tous ces sadiens, néo-sadiens, libertins mondains, « hédonistes »
en forme de dernier homme, et toutes
les variété de pervers infantiles soudain decorsetés, et fiers de l’être, qui sont
apparus depuis cette époque ; — et bien sûr, aussi, toutes les nouvelles
formes de culs bénis, de chaisières, de barbus fanatisés et de belphégors volontaires — qui sont comme l’autre
versant d’un même Himalaya de misère, amoureuse, poétique, sentimentale,
historique et sociale — qui poussent comme des champignons après les ravages du
capitalisme casinotier, maquereau et dealer de masse, lui aussi très désinhibé
— initié dès les années soixante… (Voir ici un exposé sur la position de Nelson Algren sur la question).
Pourquoi les gauchistes se
sont-ils entichés de Reich, donc ? Probablement parce qu’il avait écrit qu’il
fallait libérer la tension créée par la stase sexuelle… Ce qui a suffi à toutes
les variétés de branleurs et de branleuses, pardon, d’ « auto-érotiques à
prétextes », qui s’en sont tenus là.
Mais, manque de chance pour
ceux qui cherchaient chez lui une théorie moins « normative », selon
leurs propres dires, que celle de Freud, Reich assimile totalement la santé caractérielle à la génitalité — il en est même,
en termes de théorie, le « découvreur » —, génitalité qui pour lui est, très justement à mon sens, la seule
forme aboutie de la vie sentimentale et charnelle — plus encore que pour le
premier Freud qui y voyait tout de même le seul dépassement possible du
sado-masochisme et de la haine —, et cette libération, tant vantée, de la
tension créée par la stase sexuelle n’a de sens, pour lui, que dans la mesure
où elle vise le rétablissement — ou, plutôt, l’établissement — de la puissance orgastique (qu’il définit), donc
le dépassement du primat des pulsions partielles — pour l’exprimer ainsi —
jusqu’à l’expérience de la complétude ; — primat des pulsions partielles
qui est la misère et la « fixation », c’est le cas de le dire,
de ce que j’ai appelé l’injouissant,
et qui s’est imposé avec Mai 68.
En Occident, considérer qu’une vie aboutie ne
peut l’être que dans l’accord amoureux et
charnel des sexes opposés est une idée centrale, qui nous constitue en
quelque sorte, et qui remonte au moins à Ovide, passe par les poètes courtois —
pour s’épanouir pleinement, grâce à Reich,
avec nous autres, Libertins-Idylliques…
Et comment d’autres tout en la
pressentant ont manqué son déploiement.
Reich — qui a bien décrit, le
premier, le mouvement même de la jouissance charnelle, en rapportant ce que lui
en disaient ses patients qui en avaient retrouvé la capacité — n’avait pas su,
ou pu — contrairement aux poètes qui eux l’avaient pressenti… — décrire ce sur
quoi elle débouche : cet envahissement de la conscience par le sentiment
poétique, cette jouissance du Temps qui la suit, cette contemplation océanique
dans laquelle elle vous plonge…
Rimbaud, en poète justement, avait
rêvé d’un tel amour charnel, ouvrant
sur la contemplation :
Sensation
Par
les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne
parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, heureux comme avec une femme.
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, heureux comme avec une femme.
Mais la vie le lui avait refusé.
Breton, lui, avait eu le
pressentiment que la Beauté serait convulsive,
ou ne serait pas — ignorant que Reich, au même moment, analysait, découvrait,
décrivait cliniquement la splendeur et le mouvement de la merveilleuse
convulsion amoureuse — et ce qui l’empêche, le plus souvent. Breton —
« l’amant de l’amour dans un monde qui croit à la prostitution »,
comme l’a écrit Duchamp — avait senti que l’amour ne valait que comme éperdu, comme transe dans laquelle « l’éternité
est là, comme nulle part ailleurs, appréhendée dans l’instant même ».
Mais, s’il l’avait croisée, il
n’avait jamais décrit cette beauté convulsive ; — et il avait fait la
part belle, à l’inverse, à ce qui la nie : les pulsions partielles,
perverses-polymorphes, c’est-à-dire l’enfant démoniaque, blessé à mort, abattu, en chacun de nous — à qui Sade avait
prêté le génie de sa plume.
Donc, Reich, peut-être parce
qu’il se voulait seulement un bon clinicien, avait passé sous silence « l’éternité appréhendée dans l’instant même »
à laquelle ouvre — en un éclair mais pour de grandes plages de Temps — l’amour
charnel et sentimental accompli, et avait semblé ignorer que se défaire de
cette cuirasse caractérielle (qu’il définissait), de cette assimilation corporelle des erreurs fondamentales, ainsi que de la
haine des sens (et par les sens…), pour le dire comme Nietzsche, ne valait qu’à
condition de retrouver, par ce mouvement, « les instincts contemplatifs de
son enfance et d’atteindre par là à un calme, à une unité, à une cohérence dont
celui qu’attire la lutte pour la vie ne peut pas même avoir une idée », pour
aboutir, enfin, à ce « nouveau sentiment de la puissance : l'état mystique »
; — le rationalisme le plus clair, le plus hardi, ayant servi de chemin pour y parvenir.
Les situationnistes, quant à
eux, avaient été aussi nuls — et tripoteurs (et « trip-auteur »,
aussi…) — sur ce point que les existentialistes leurs contemporains :
Debord était dominé par l’alcool et la pulsion scopique, et Vaneigem, dans son Traité, vantait les mérites de la
« sororisation »…
Sur ce point, en les lisant, à
vingt ans, et même avant, ils n’avaient pu nous être d’aucune utilité.
Pourtant, c’est Albert Caraco, encore plus obscur et
qui souffrait d’une forme encore plus aigüe d’impuissance voluptueuse, qui, le
plus justement, avait écrit ce que, adolescents, jeunes philosophes et lecteurs
de Nietzsche, nous avions déjà ressenti :
« Ne nous le dissimulons pas, l’espèce humaine ne
survivra guère, à moins qu’elle ne se métamorphose et si nous parvenons à
modifier ses comportements, si nous réussissons à la désanimaliser en
l’humanisant toujours davantage, elle verra soudain ce que présentement les
meilleurs voient et désespèrent de communiquer aux foules. L’idée du surhomme
est une idée raisonnable et nous ne devons désormais prétendre à moins. »
Caraco, qui écrivait — résumant très parfaitement de quelle malheureuse expérience de l’amour charnel l’injouissant – dans le meilleur des cas – tient ses « théories » — : « Autant je hais l'orgasme sexuel, autant je prise l'état fait de contemplation et de transport, de calme et de ravissement, de certitude et de vertige, où je me retrouve autre en devenant moi-même et ce durant parfois trois heures. Qu'est-ce auprès de cette félicité, que l'épilepsie d'une chair ébranlée durant trois minutes ? », ne pouvait imaginer que cet au-delà du pré-humain injouissant et contemporain nous en dessinerions les traits gracieux sous la figure du Libertin-Idyllique, troisième figure du libertin en Europe (un Surlibertin, en quelque sorte, contemplatif — galant…), et que cette désanimalisation, si elle devait se faire, passerait seulement, après le nombre de siècles et de convulsions historiques nécessaires…, par l’amour charnel et sentimental, la transe et la beauté convulsive orgastiques parfaites — où il s’agit d’être « primitif avec élégance et avec cœur », comme je l’ai si heureusement (pour moi…) écrit — pour aboutir à cet état supérieurement contemplatif, parce que nourri et offert par la volupté — qui est au cœur de ce dont nous parlons ici.
Tous ceux que j’ai cités ayant
ainsi exploré des chemins qui ne menaient finalement nulle part — qu’est-ce
que l’au-delà du pré-humain et de l’injouissant
contemporain, et ce nouveau sentiment de la puissance, l’état mystique, de
Nietzsche, sans l’abandon complet au pur mouvement de la volupté ? À quoi pourraient
bien servir, à nos yeux, la science des situations et la révolution du monde si
elles ne servaient pas l’amour voluptueux, contemplatif — galant ? Et le style même du discours qui pose cette
nécessaire désanimalisation de l’injouissant contemporain, quel intérêt
aurait-il s’il ne se nourrissait à la source amoureuse des extases et des
contemplations poétiques ? —, c’est donc à moi qu’il est revenu d’écrire ce
que j’écris maintenant :
Erstmal “Wo Es war, soll Ich werden”, aber dann, durch die Liebe, “Wo Ich war, soll Es werden”
(Dans un premier temps “Où était le Ça,
doit advenir le Je” mais
ensuite, par l’amour, “Où était
le Je, doit advenir le Ça ”.
Autrement dit : l’amour Ça le
fait, et si Ça
ne le fait pas, c’est raté. (Voir Caraco, cité plus haut).
Et quelques autres choses — que la vie m’a fait la grâce de pouvoir nourrir
de cela…
R.C. Vaudey
Le 17 mai 2013
WILHELM REICH
LA FONCTION DE L’ORGASME
Après m'être penché pendant
trois ans sur le sujet, je lus enfin en novembre 1923 ma première étude
d'ensemble : « La génitalité du point de vue du pronostic et de la
thérapeutique psychanalytiques ». Pendant que je parlais, je sentais se
refroidir de plus en plus l'atmosphère de la réunion. Je ne parlais pas mal et,
jusqu'alors, j'avais toujours trouvé un auditoire attentif. Lorsque j'eus fini,
un silence polaire régna dans la salle. Après une pause, la discussion
commença. Mon affirmation selon laquelle le désordre génital est un symptôme
important, et peut-être le plus important de la névrose, était fausse,
m'objectèrent mes collègues. Mais plus contestable encore, selon eux, était ma
proposition d'une évaluation de la génitalité pouvant donner un critère de
pronostic et de thérapeutique. Deux analystes assurèrent brutalement qu'ils
connaissaient un grand nombre de patientes qui menaient une vie sexuelle très
saine. Ils me parurent plus excités que leur réserve scientifique habituelle ne
le laissait prévoir.
Dans cette controverse,
j'étais parti désavantagé. J'avais eu à admettre moi-même que, parmi les
patients, il y en avait qui possédaient apparemment une génitalité non
troublée, bien que cela ne fût pas vrai chez les patientes. Je cherchais la source d'énergie de la névrose, son
noyau somatique. Ce noyau ne pouvait être que de l'énergie sexuelle inhibée.
Mais je ne pouvais imaginer ce qui était capable de causer la stase lorsque la
« puissance » était présente.
Deux concepts erronés
dominaient la psychanalyse de ce temps. Primo, un homme était appelé « puissant
» lorsqu'il était capable d'exécuter l'acte sexuel. Il était considéré comme «
très puissant » quand il pouvait le faire plusieurs fois la même nuit. La
question : combien de fois par nuit un homme « peut le faire » est un sujet de
conversation favori parmi les hommes de tous les milieux. Le psychanalyste
Roheim alla même jusqu'à prétendre qu' « avec à peine une légère exagération on
pouvait dire qu'une femme n'obtenait une satisfaction réelle que si, après
l'acte sexuel, elle souffrait d'une inflammation (de ses parties génitales) ».
Le second concept erroné était
la croyance qu'une pulsion partielle — comme l'acte de sucer le sein maternel —
pouvait être inhibée par elle-même et isolée des autres pulsions. Ce concept
servait à expliquer l'existence de symptômes névrotiques chez ceux qui
possédaient une « puissance complète ». Il correspondait au concept des zones
érogènes respectivement indépendantes.
De plus, les psychanalystes
nièrent qu'on ne pût trouver des femmes névrosées dotées d’une bonne santé
génitale, ainsi que je l'assurais. Ils considéraient qu’une femme était dotée
d’une bonne santé génitale lorsqu'elle était capable d'orgasme clitoridien. La
différence établie par l'économie sexuelle entre l'excitation clitoridienne et
l'excitation vaginale était encore inconnue. En somme, personne n'avait la
moindre idée de la fonction naturelle de
l'orgasme. Restait tout de même le groupe douteux des hommes sains
génitalement qui paraissaient invalider toutes mes affirmations sur le rôle
pronostique et thérapeutique de la génitalité. Car il n'y avait pas de doute.
Si mon hypothèse était correcte, à
savoir que les troubles de la génitalité constituaient la source de l'énergie
dans les symptômes névrotiques, alors on
ne trouverait aucun cas de névrose sans génitalité troublée.
Dans cette conjoncture, j'eus
la même expérience que je vécus souvent plus tard dans mes découvertes
scientifiques. Une série d'observations cliniques avaient conduit à une
hypothèse générale. Cette hypothèse contenait des lacunes par-ci par-là, et
restait vulnérable à des objections solides. Vos contradicteurs manquent
rarement une occasion de déceler ces lacunes et de les prendre comme base de
départ pour rejeter toute l'hypothèse. Comme me le dit un jour du Teil : «
L'objectivité scientifique n'est pas de ce monde, et peut-être d'aucun. » On
peut à peine espérer une collaboration objective sur un problème. Mais, sans le
vouloir, mes critiques m'avaient souvent beaucoup aidé, précisément par leurs
objections dites « pour des raisons fondamentales ». Il en fut de même cette
fois. L'objection suivant laquelle existait un certain nombre de névrosés
génitalement sains me poussa à examiner de plus près ce qu'était la « santé
génitale ». Le fait paraît incroyable, et pourtant il est vrai que chez les
psychanalystes de cette époque, l'analyse exacte d'un comportement génital
au-delà de phrases vagues telles que « J'ai couché avec un tel ou une telle »
était tabou.
Plus je m'appliquai à faire
décrire avec précision à mes patients leur comportement et leurs sensations
dans l'acte sexuel, et plus ferme devint ma conviction clinique que tous, sans exception, souffraient d'un trouble
grave dans leur génitalité.
C'était particulièrement vrai de ces hommes qui se vantaient le plus bruyamment
de leurs conquêtes sexuelles et du nombre de fois qu'ils « pouvaient faire ça »
en une nuit. Il n'y avait aucun doute : ils étaient érectivement très
puissants, mais l'éjaculation s'accompagnait de peu de plaisir, ou ne donnait
aucun plaisir, ou même, à l'opposé, elle entraînait des sensations désagréables
et de dégoût. Une analyse exacte des fantaisies qui accompagnaient l'acte
révéla fréquemment des attitudes sadiques ou vaniteuses chez les hommes, de
l'angoisse, de la réserve ou de la masculinité chez les femmes. Pour les
hommes soi-disant puissants, l'acte avait la signification de conquérir, de
percer ou de violer la femme. Ils voulaient donner la preuve de leur virilité,
ou être admirés pour leur endurance érective. Dès qu'on mettait à nu les vrais
motifs, on détruisait facilement cette « puissance ». Elle servait à couvrir
des troubles sérieux dans l'érection ou l'éjaculation. Dans aucun de ces cas il
n'y avait trace de comportement
involontaire ou de perte de
vigilance pendant l'acte.
En avançant lentement, à
tâtons, j'appris ainsi, petit à petit, à reconnaître les signes de l'impuissance orgastique. Il me
fallut dix autres années avant que je comprisse ce trouble assez bien pour pouvoir
le décrire, et développer une technique pour son élimination.
[...]
Jusqu'en 1923, l'année où
naquit la théorie de l'orgasme, la sexologie et la psychanalyse ne connurent
qu'une puissance érective et
une puissance éjaculative. Mais
si l'on n'y inclut pas les aspects économiques, expérientiels et énergétiques,
le concept de puissance sexuelle ne signifie rien. La puissance érective et la
puissance éjaculative ne sont que les conditions préliminaires indispensables à
la puissance orgastique. La
puissance orgastique est la capacité de
s'abandonner au flux de l'énergie biologique sans aucune inhibition, la
capacité de décharger complètement toute
l'excitation sexuelle contenue, au moyen de contractions involontaires
agréables au corps. Aucun individu névrosé ne possède de puissance
orgastique. Le corollaire de ce fait est que la vaste majorité des hommes
souffrent d'une névrose caractérielle.
L'intensité
du plaisir dans l'orgasme (au cours de l'acte sexuel sans angoisse
et sans déplaisir, et non accompagné de fantaisies) dépend de la quantité de tension sexuelle concentrée dans l'organe
génital. Le plaisir est d'autant plus intense, plus grand, que plus
abrupte est la « chute » dans l'excitation.
La description suivante de
l'acte sexuel orgastiquement satisfait s'applique seulement à certaines phases
et à certains modes de comportement typiques et biologiquement déterminés.
Elle ne tient pas compte des préludes qui ne présentent pas de régularité
générale. De plus, il faut se souvenir que les processus bio-électriques de
l'orgasme sont encore inexplorés jusqu'ici. C'est pourquoi cette description
est nécessairement incomplète.
A. Phase
de contrôle volontaire de l'excitation (1)
1. L'érection est agréable, et
non douloureuse comme dans le priapisme (« érection froide »). Spasme de la
région pelvienne ou du conduit spermatique. L'organe génital n'est pas
excessivement excité, comme il l'est après de longues périodes de continence,
ou dans les cas d'éjaculation précoce. Chez la femme, il devient hyperémique
et, grâce à une ample sécrétion des glandes génitales, humide d'une manière
spéciale. C'est-à-dire que, dans le cas où le fonctionnement génital n'est pas troublé, la sécrétion a des
propriétés physiques et chimiques spécifiques qui manquent lorsque la fonction
génitale est troublée. Un critère important de la puissance orgastique chez le
mâle est le besoin de pénétrer. Car il peut y avoir érection sans ce
besoin, comme c'est le cas, par exemple, chez beaucoup de caractères narcissiques
érectivement puissants et dans la satyriasis.
2. L'homme
est spontanément doux, sans avoir à compenser, par une sorte de douceur forcée,
des tendances opposées telles que des pulsions sadiques. Les déviations
pathologiques sont : l'agressivité fondée sur des pulsions sadiques, comme il
arrive chez beaucoup de névrosés obsessionnels possédant une puissance
érective, l'inactivité du caractère passif féminin. Dans le « coït onaniste »
avec un objet non aimé, la douceur est absente. L'activité de la femme ne
diffère en aucune façon de celle de l'homme. La passivité généralement prévalente
chez la femme est pathologique et due, dans la plupart des cas, à des
fantaisies masochistes d'être violée.
A
Diagramme
des phases typiques de l'acte sexuel avec puissance orgastique dans les deux
sexes.
F =
avant-plaisir (1,2). P = pénétration (3).
I (4,5) =
phase de contrôle volontaire de l'accroissement de l'excitation, dans laquelle
la prolongation volontaire est encore inoffensive. II (6 a-d) = phase de
contractions musculaires involontaires et de l'accroissement automatique de
l'excitation.
III (7) =
montée soudaine et abrupte vers l'acmé (A). IV (8) = orgasme.
La partie hachurée représente
la phase des contractions involontaires
du corps. V (9-10) = « chute » abrupte de l'excitation. R = relaxation. Durée : entre cinq et
vingt minutes.
3. L'excitation agréable, qui
pendant les préludes s'est maintenue à peu près au même niveau, augmente
soudain - à la fois chez l'homme et chez la femme - avec la pénétration du
pénis. La sensation de l'homme « d'être absorbé » correspond à la sensation de
la femme qu'elle « absorbe le pénis ».
4. Chez l'homme, le besoin de
pénétrer très profondément augmente, sans cependant jamais prendre la forme
sadique de vouloir transpercer » la femme, comme c'est le cas chez les
caractères obsessionnels. Résultant de frottements mutuels, lents, spontanés et sans efforts, l'excitation est
concentrée sur la surface et le gland du pénis, et sur les parties postérieures
de la muqueuse vaginale. La sensation caractéristique qui précède l'éjaculation
est encore complètement absente, contrairement à ce qui se passe dans
l'éjaculation précoce. Le corps est encore moins excité que l'organe génital.
La conscience est complètement concentrée sur la perception des sensations de
plaisir. Le moi participe à cette activité dans la mesure où il tente d'épuiser
toutes les possibilités de plaisir et d'atteindre au maximum de tension avant
que ne se produise l'orgasme. Inutile de dire que cela ne se fait pas avec une
intention consciente, mais tout à fait spontanément et de façon différente
selon les individus, sur la base des expériences antérieures, par un changement
dans la position, dans le frottement et le rythme, etc. Selon l'unanimité des
témoignages des hommes et des femmes orgastiquement puissants, les sensations
de plaisir sont d'autant plus intenses que les frottements sont plus doux, plus
lents et s'harmonisent davantage entre les partenaires. Cela suppose une
faculté considérable de s'identifier soi-même avec le partenaire. Les
contreparties pathologiques sont, par exemple, le besoin de produire des
frottements violents, comme cela arrive chez les caractères sadiques
obsessionnels avec anesthésie du pénis et incapacité d'éjaculer, ou la hâte
nerveuse de ceux qui souffrent d'éjaculation précoce. Des individus
orgastiquement puissants ne parlent ni ne rient jamais pendant l'acte sexuel -
à l'exception de quelques mots tendres. Parler ou rire indique un grave
désordre dans la faculté de s'abandonner, qui exige une absorption non divisée
dans les sensations de plaisir. Les hommes pour qui l'abandon signifie être «
féminin » sont toujours malades orgastiquement.
5. Dans cette phase,
l'interruption du frottement est elle-même agréable. Elle est due aux
sensations particulières de plaisir qui apparaissent lorsqu'on se repose.
L'interruption peut s'accomplir sans effort mental. Elle prolonge l'acte
sexuel. Lorsqu'on se repose, l'excitation décroît un peu, sans disparaître
complètement comme dans les cas pathologiques. L'interruption de l'acte sexuel
par le retrait du pénis n'est pas foncièrement désagréable, à condition qu'il
se produise après une période de repos. Lorsque le frottement se poursuit,
l'excitation continue à croître au-dessus du niveau atteint antérieurement à
l'interruption. Elle commence à s'étendre de plus en plus au corps tout entier, alors que
l'excitation de l'organe génital demeure plus ou moins au même niveau. Enfin,
résultant d'une nouvelle augmentation, généralement soudaine, de l'excitation
génitale, s'installe la seconde phase.
B. Phase
des contractions musculaires involontaires
6. Dans cette phase, un
contrôle volontaire du cours de
l'excitation n'est plus possible. En
voici les caractéristiques :
a) L'accroissement de
l'excitation ne peut plus être contrôlé volontairement. Elle s'empare plutôt
de toute la personnalité et produit la tachycardie et les expirations
profondes.
b) L'excitation corporelle se
concentre de plus en plus sur l'organe génital. Une sorte de sensation u
fondante » s'installe, que l'on peut décrire au mieux comme une radiation de
l'excitation depuis l'organe génital vers les autres parties du corps.
c) Cette excitation aboutit
d'abord aux contractions involontaires de la musculature totale de l'organe
génital et de la région pelvienne. Ces contractions arrivent par vagues. Les
crêtes des vagues correspondent à la complète pénétration du pénis, les creux
au retrait du pénis. Néanmoins, dès que le retrait dépasse une certaine limite,
il se produit immédiatement des contractions spasmodiques qui accélèrent
l'éjaculation. Chez la femme a lieu dans ce cas une contraction des muscles du
vagin.
d) A ce stade, l'interruption
de l'acte sexuel cause aussi bien à l'homme qu'à la femme un déplaisir absolu.
Au lieu de se produire rythmiquement, les contractions musculaires qui mènent à
l'orgasme comme à l'éjaculation, deviennent, dans le cas d'une interruption,
spasmodiques.
Cela a pour effet des
sensations intensément déplaisantes, et quelquefois des douleurs dans la région
pelvienne et dans la partie inférieure du dos. De plus, l'éjaculation se
produit plus tôt que dans le cas d'un rythme ininterrompu. La prolongation
volontaire de la première phase de l'acte sexuel (1 à 5 dans le diagramme) à un
degré modéré est inoffensive, et sert plutôt à intensifier le plaisir. Mais
l'interruption ou la modification volontaire du cours de l'excitation dans la
seconde phase est nocive, parce qu'ici le processus se poursuit sous forme de
réflexes.
7. Par une intensification
plus grande et par une augmentation dans la fréquence des contractions
musculaires involontaires, l'excitation s'accroît d'une façon rapide et abrupte
jusqu'à l'acmé (III jusqu'à A dans le diagramme). Normalement, l'acmé coïncide
avec la première contraction musculaire éjaculatoire chez l'homme.
8. A présent a lieu un
obscurcissement plus ou moins profond de la conscience. Les frottements
deviennent spontanément plus intenses, après
avoir diminué momentanément au moment de l'acmé. Le besoin de « pénétrer
complètement » devient plus vif avec chaque contraction musculaire
éjaculatoire. Chez la femme, les contractions musculaires suivent le même cours
que chez l'homme. En ce qui concerne la sensation, expérimentalement, la
différence réside seulement dans le fait que, pendant l'acmé et immédiatement
après, la femme saine désire « recevoir complètement ».
9. L'excitation orgastique
s'empare du corps tout entier et s'achève dans de vives contractions de la musculature générale. L'auto-observation
d'individus sains des deux sexes, aussi bien que l'analyse de certains troubles
de l'orgasme, montrent que ce que nous appelons la libération de la tension et
éprouvons comme une décharge motrice (la portion descendante de la courbe de
l'orgasme) est d'une façon prédominante le résultat d'un reflux de l'excitation de l'organe génital vers le
corps. Ce reflux est éprouvé comme une diminution soudaine de la tension.
L'acmé représente donc le
point où l'excitation change de direction. Jusqu'à l'acmé elle se dirige vers
l'organe génital. A partir de l'acmé elle se tourne dans la direction opposée,
c'est-à-dire vers le corps tout entier. Le
reflux complet de l'excitation vers le corps tout entier est ce qui constitue
la satisfaction. La satisfaction signifie deux choses : le
déplacement de la direction du flux de l'excitation vers le corps et le
délestage de l'appareil génital.
10. Avant que le point zéro ne
soit atteint, l'excitation- va en diminuant suivant une courbe douce et se
trouve immédiatement remplacée par une relaxation
corporelle et psychique agréable. Généralement survient une forte
envie de sommeil. Les relations sensuelles s'apaisent. Seule une attitude
tendre et reconnaissante persiste vis-à vis du partenaire.
Par contraste, l'individu
orgastiquement impuissant éprouve un épuisement de plomb, un dégoût, une
répulsion ou une indifférence et quelquefois une haine envers le partenaire.
Dans le cas de satyriasis ou de nymphomanie, l'excitation sexuelle ne baisse
pas. L'insomnie est une des indications les plus importantes du manque de
satisfaction. D'autre part, il serait tout à fait erroné de supposer
nécessairement l'existence d'une satisfaction lorsque le patient (ou la
patiente) s'endort immédiatement après l'acte sexuel.
En nous penchant plus
attentivement sur les deux phases principales de l'acte sexuel, nous voyons
que la première phase (F et 1 dans le diagramme) est caractérisée
principalement par l'expérience sensorielle,
et la deuxième phase (II à V) par l'expérience motrice du plaisir.
Les
contractions involontaires de l'organisme et la complète décharge de
l'excitation sont les critères les plus importants de la
puissance orgastique. La partie de la courbe hachurée (dans le diagramme) représente
la libération végétative involontaire de
la tension. Il y a des libérations de tension partielles qui sont semblables à un orgasme. On avait
accoutumé de les prendre pour la libération réelle de la tension. L'expérience
clinique montre que l'homme - par suite du refoulement sexuel général - a perdu
la faculté de l'abandon involontaire
végétatif ultime. Ce que j'entends par « puissance orgastique » est
précisément cette partie ultime, non reconnue jusqu'ici, de la capacité
d'excitation et de libération de la tension. La puissance orgastique est la
fonction biologique primaire et fondamentale que l'homme possède en commun avec
tous les organismes vivants. Tous les sentiments sur la nature dérivent de
cette fonction ou du désir ardent de la retrouver.
Normalement, c'est-à-dire dans
l'absence d'inhibitions, le cours du processus sexuel chez la femme ne diffère
en aucune façon de celui qui a lieu chez l'homme. Chez les deux sexes,
l'orgasme est plus intense si les sommets de l'excitation génitale coïncident.
Cela arrive fréquemment chez des individus capables de concentrer sur un partenaire
leurs sentiments tendres en même temps que leurs sentiments sensuels. C'est la
règle lorsque les rapports ne sont pas troublés par des facteurs internes ou
externes. Dans ces cas-là, les fantaisies au moins conscientes sont complètement
absentes. Le moi est absorbé sans partage dans la perception du plaisir. La
faculté de se concentrer avéc sa personnalité entière dans le vécu de
l'orgasme, malgré tous les conflits possibles, est un autre critère de la
puissance orgastique.
Que les fantaisies
inconscientes soient également absentes, il est difficile de le dire. Certaines
indications rendent probable l'affirmative. Les fantaisies auxquelles l'accès
de la conscience est interdit ne sauraient qu'apporter des troubles. Parmi les
fantaisies qui peuvent accompagner l'acte sexuel, il faut distinguer entre
celles qui sont en harmonie avec le vécu sexuel actuel et celles qui le
contredisent. Si le partenaire peut réunir tous les intérêts sexuels sur
lui-même, au moins tant que dure l'acte d'amour, l'activité imaginaire
inconsciente devient inutile ; celle-ci, par sa nature même, s'oppose au vécu
actuel, puisqu'on n'imagine que ce qu'on ne peut obtenir dans la réalité. Il
existe un transfert authentique de l'objet d'amour originel sur le partenaire,
si le partenaire correspond dans ses traits essentiels à l'objet de la
fantaisie. Cependant, la situation est différente lorsque le transfert des
intérêts sexuels a lieu en dépit du fait que le partenaire ne correspond pas
dans ses traits fondamentaux à l'objet de la fantaisie, lorsque l'amour est né
d'une recherche névrotique de l'objet originel sans que l'individu soit capable
intérieurement d'établir un transfert authentique. Dans ce cas, aucune illusion
ne peut extirper un sentiment vague d'insécurité dans les relations. Tandis que
dans le transfert authentique il n'y a aucune réaction de déception après
l'acte sexuel, la déception est inévitable si l'individu n'a pu établir ce
transfert. Ici nous pouvons présumer que l'activité imaginaire inconsciente
pendant l'acte ne fut pas absente, mais qu'elle servit à maintenir l'illusion.
Dans le premier cas, le partenaire a pris la place de l'objet originel, et
l'objet originel a perdu son intérêt en même temps que sa faculté de créer des
fantaisies. Dans le transfert authentique il n'y a pas de surestimation du
partenaire. Les caractéristiques qui le distinguent de l'objet originel sont
évaluées avec justesse et bien tolérées. A l'inverse, dans le cas du faux
transfert névrotique, il y a idéalisation excessive et les illusions
prédominent. Les qualités négatives ne sont pas perçues, et l'imagination est
soumise à une activité sans repos pour maintenir l'illusion. Mais plus
l'imagination doit travailler pour obtenir l'équivalence entre le partenaire et
l'objet idéal, plus l'expérience sexuelle perd en intensité et en valeur d'économie
sexuelle.
Jusqu'à quel point les
incompatibilités - qui se présentent dans toute relation sexuelle de quelque
durée - diminuent-elles l'intensité de l'acte sexuel, cela dépend entièrement
de la nature de ces incompatibilités. Elles sont d'autant plus portées à
conduire à un trouble pathologique que la fixation à l'objet originel sera plus
forte, que l'incapacité pour un transfert authentique sera plus grande et que
plus grand sera l'effort qui doit être fait pour surmonter l'aversion envers le
partenaire.
4. LA STASE SEXUELLE :
SOURCE D'ÉNERGIE DE LA NÉVROSE
Depuis que l'expérience
clinique avait attiré mon attention sur ce sujet en 1920, j'avais déjà, au
dispensaire psychanalytique, observé avec beaucoup de soin les troubles de la
génitalité, et pris des notes. Dans l'espace de deux ans, j'avais amassé
suffisamment de matériel pour justifier la conclusion suivante : Le trouble de
la génitalité n'est pas, comme on l'avait supposé auparavant, un symptôme parmi
d'autres, mais le symptôme de la névrose.
(à suivre…)
La fonction de l'orgasme
L'ARCHE EDITEUR (1970)
Pages 82 à 91
(Première mise en ligne : le 17 mai 2013)
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