La jouissance du Temps
Conservatoire
D’une
forme contemplative —
galante
de l’otium
À
l'opposé de sa version philosophique gréco-latine, judéo-chrétienne
plus ou moins dépressive.
Pourquoi dépressive ? Cherchez la femme !
Pourquoi dépressive ? Cherchez la femme !
Conservatoire
D’une
subsomption
de l'amour courtois, c’est-à-dire
d’une sauvegarde et d’un développement, dans un moment
supérieur, de cette
forme de l’amour.
La
fin
du XXe siècle et le
début du XXIe étaient
certainement les
pires
moments
sinon
pour
faire, du
moins pour rendre publique, la découverte
de
l'accord
des sexes opposés dans l'extase
harmonique, —
cette
extase
harmonique, charnelle,
qui
naît de la complétude
génitale
et qui ouvre à une autre forme d’extase –
post-orgastique
celle-là –,
contemplative, mystique, que nous avons appelée la
jouissance du Temps ;
le tout dessinant cet amour
contemplatif —
galant
qui me paraît être ce que madame de Beauvoir pressentait de ce que
produirait l’émancipation des femmes, qui devait,
selon elle, voir
naître
entre les hommes et les femmes,
«
des relations charnelles et affectives dont nous n’avons pas idée
».
Je
l’ai déjà noté,
une lettre qu’elle écrivit en 1953, et qui a été portée
récemment à la connaissance du public, me laisse penser qu’elle
avait déjà entrevu, et pas seulement théoriquement, ce qu’elle
prédisait dans son livre. Mais l’histoire n’a retenu que les
mensonges qu’elle a soutenus avec Sartre à propos des amours
nécessaires et des amours contingentes, et que la publications de
leurs correspondances a révélés pour ce qu’ils étaient.
Mais
c’étaient aussi des justifications théoriques qui convenaient
parfaitement à l’injouissance et au genre d’emploi du temps du
personnel universitaire et médiatique, amené à compenser cette
incapacité, aussi
bien pratique que structurelle,
à déployer tant le féminin que le masculin
dans un papillonnage « sexuel » d’aventures sans
lendemains (que son genre de vie ((voyages d’études, tournées de
conférences, séjours en résidences privées ou publiques devant
apporter la matière à un nouvel ouvrage))
favorisait), alors que l’amour contemplatif —
galant
est au contraire une suite de lendemains pleins d’aventures —
qui
peuvent se contenter d’une seule et même
chambre
—,
qui sont les illuminations sensualistes,
poétiques et
mystiques
qu’il donne. Ce
que nous appelons ses
illuminescences.
Pour
le reste, l’émancipation des femmes, contenue dans le cadre du
libéralisme, s’est accompagnée et
s’accompagne, dans
ce moment de l’Histoire qui est le nôtre, d’une
exacerbation
de la guerre des sexes que chacune de leurs « revendications »
envenime
encore : les droits par elles acquis, les prérogatives perdues
par les hommes avaient
trouvé, dans un premier temps, dans la pornographie (que quelques
idiotes médiatiques, désireuses de faire « boutique-mon-cul »,
comme on dit en Afrique, avaient
cru devoir soutenir) et dans la violence des
relations sexuelles de
base, une sorte d’exutoire à
la rage des hommes,
exutoire
qui
en vient, très normalement, à être dénoncé à son tour, la
violence en
devenant par trop extrême et trop évidemment destructrice ; et
même
les
vieilles
prérogatives des « petits-chefs » (la
mains aux fesses, l’injure
et
le mépris
« sexuels »
et le
privilège de la
« promotion canapé »)
finissent
par
être, justement et enfin, dénoncées
par
des femmes qui ont par
ailleurs
accepté tout le reste du monde, et qui ne sont pas nécessairement
de
farouches
anarcho-primitivistes.
…
Il y a donc un temps pour ceux dont la pensée et la poésie critiquent la société de l’injouissance et ceux qui la servent, et un temps pour ceux qui en sont les serviteurs, enthousiastes ou forcés. Et les bouleversements « d’avant-garde » des premiers ne sont strictement rien pour les autres.
De
sorte que, vu du monde de l’injouissance, célébrer, aujourd’hui,
l’accord entre les femmes et les hommes, comme nous le faisons,
c'est
un peu comme célébrer l'amitié franco-allemande enfin réalisée,
en 1913. Je comprends que
nous
soyons,
pour vos amis, des « ovnis »
Pour
ce qui est de l’otium
des Romains, ou de la scholè
des
Grecs, c’est Lacan qui a dit tout ce que l’on peut en dire, d’une
façon définitive mais qui n’est plus politiquement correcte,
lorsque dans son séminaire Le
Transfert,
en 1960, il a qualifié Le
Banquet
de Platon.
Et
qu’est-ce que toute la philosophie grecque ou romaine, excepté
Ovide, sinon
cela.
Et même celle qui a suivi ?
Toujours
se
voulant
contemplative mais pensive, discursive —
donc ratée —,
parce
que
jamais galante.
La
fin’amor
est sociale.
Montaigne
fut
un
temps galant, mais pas contemplatif, ou du moins si mais à
la manière des Anciens, et
confronté
dans
sa pratique de l’otium
aux
« chimères et monstres fantasques » qu’il entreprit
de calmer en rédigeant les Essais.
Il
a cependant écrit :
« Qu’a fait aux hommes l’acte génital qui est si naturel,
si nécessaire et si légitime pour que nous n’osions pas en parler
sans honte. »
Cela
dit,
à part Montaigne (et Sade, mais involontairement puisqu’en
tant que prisonnier il
n’a pas choisi son exil du monde et
n’a jamais pu
rechercher
l’extase contemplative, mais plutôt tout son contraire),
dans
l’histoire de la philosophie personne
ne nous entretient jamais des phantasmes qui
assaillent l’injouissant qui cherche la paix dans
l’otium :
voilà sans doute toute
la misère de la philosophie et de la recherche de la vie
contemplative dans l’aire occidentale : avoir
été privées, d’une part, de l’illumination
poétique
et mystique qu’offre la
complétude génitale sentimentale
dans
ses extases harmoniques
et
post-orgastiques, et, d’autre part, n’avoir pu connaître le
calme des resouvenances galantes qui caressent le corps et l’esprit
entre deux prodiges
amoureux, resouvenances
galantes
qui sont comme un jardin des délices lorsqu’on les compare
à
la violence et à la souffrance des
compulsions, pornographiques et autres, qui, dans
l’acédie,
se nourrissent
et des traumatismes du passé et de la misère de
l’Éros.
La complétude génitale sentimentale, tant qu’elle dure, nous sauve ainsi de la folie ordinaire des fixations pré-génitales. Ce n’est pas là son moindre charme.
La complétude génitale sentimentale, tant qu’elle dure, nous sauve ainsi de la folie ordinaire des fixations pré-génitales. Ce n’est pas là son moindre charme.
On
peut opposer à cette misère occidentale la recherche de
l’illumination à travers l’érotisme chez les Chinois, telle
qu’elle est exposée dans le Jeou
p'ou t'ouan dont
la quatrième de couverture de la
traduction qu’en
a fait
Pierre Klossowski nous
apprend que ce
Jeou
p'ou t'ouan « n’est
autre que la quête
obstinée du lettré Wei-Yang-Cheng pour aboutir, à travers
l'érotisme, à l'extase spirituelle. Rien n'est moins occidental,
rien n'est moins chrétien que cette littérature hors du péché,
déliée de toute pudibonderie, candide dans sa crudité. La
recherche de la volupté, minutieusement détaillée, ne s'y
accompagne d'aucune perversion morbide. Le tendre souci du plaisir de
l'autre y est toujours présent. ».
Malheureusement,
le titre français, La
chair comme tapis de prière,
trahit
aussitôt la misère de cette tentative chinoise, heureusement
supérieure à l’européenne parce que «
hors du péché, déliée de toute pudibonderie, candide
dans sa crudité » et ne s'accompagnant d'aucune perversion morbide mais
malheureusement inférieure à elle en
ceci que
la sentimentalité y est totalement absente et
que
l’autre y est plus
ou moins candidement instrumentalisé
dans une recherche égotique de l’extase spirituelle et de la
longévité.
La
camaraderie entre noceurs revenus de tout —
qui
est ce à quoi peut arriver de mieux l’injouissant de l’aire
occidentale condamné ab
ovo
et
de tout temps par la
notion de péché, la pudibonderie et les
perversion morbides qui en découlent
—
y
est remplacée par un échange de bons procédés érotiques,
spirituels
et hygiénistes
qui ne cassent pas trois pattes à un canard…
mandarin.
…
Pour
le reste, l’Europe
a des penseurs :
ni galants ni contemplatifs : parfois roués.
Des
mystiques religieux : contemplatifs mais pas galants.
Au
vingtième siècle, des propagandistes politiques plus ou moins masqués,
plus ou moins manipulés : idiots utiles ou pas. Mondains,
médiatiques à l’usage des foules
Nicolás
Gómez Dávila, dont
je me sens le plus proche parce
que c’est un patricien qui n’a pas eu
besoin d’un statut de littérateur ou de « philosophe »
pour exister (mais
dont
beaucoup
me
sépare),
me semble
un
pater
familias de
la meilleure veine
mais qui
a cependant
écrit :
« Un corps nu résout tous les problèmes de l'univers. »
Caraco,
sur ces questions, fou.
Fourier,
idem.
« Quelque
chose s'élève avec la rencontre des femmes et des hommes. »
ai-je
écrit. Oui, mais
peut-être
seulement pour quelques-uns. Dont
nous sommes.
…
Néanmoins, je suis heureux que vous ayez trouvé une psychanalyste freudienne qui soit arrivée au mêmes conclusions à propos de la jouissance génitale. Les freudiens, comme les médecins de Molière et les philosophes universitaires, ont un baragouin tout à fait propre à impressionner le vulgum pecus. Mais si cela peut le mettre sur la piste… Faites-la connaître à vos amies.
…
Disons que ce qui nous occupe, et nous éblouit, ce sont les conséquences mystiques de la jouissance génitale : le stade suivant, donc : la jouissance du Temps et les resouvenances galantes.
…
Avec mes respectueux hommages,
R.C. Vaudey
Le 6 mai 2018
Resouvenance
galante
Dans le chaudron du printemps
— Inexprimable
métamorphose du monde —
La
vie se déroule avec ses aléas et ses tensions…
Jusqu'au
miracle :
L'immense
ouverture du sans-nom
La
vraie
vie
soudain ici
L'ouverture
absolue du sans-souci
La
puissance voluptueuse folle
La
danse insupportable de délice
L'envahissement
total de
tout votre être
— Par
ma masculinité —
La
dissolution totale de
tout mon être
— Par
votre féminité —
Votre
acceptation et votre affirmation
— Au
delà du concevable —
De
votre féminité
souveraine
Mon
acceptation et mon affirmation
— Au
delà du pensable —
De
ma masculinité
souveraine
Avec
— Finalement
—
L’incroyable
maestria involontaire
de mon amour
— Qui
vous emplit et vous dissout —
L’incroyable
maestria involontaire
de votre amour
— Qui
m’aspire et me dissout —
Aujourd’hui,
l’éparpillement bienheureux de tout mon être
Au
monde tout autour fusionné
Tandis
que les bijoux de plume
Sur
l’écrin vert de l’herbe fraîchement coupée
Picorent
de minuscules graines portées par des tiges imperceptibles
— Apparemment
un délice immarcescible…
Héloïse,
je suis fou de vous
Le 5 mai 2018
Journal
d’un Libertin-Idyllique (Illuminescences) 2018