Chère
amie,
…
Pour
Nietzsche comme pour Schopenhauer, une force pulsionnelle primordiale
universelle anime tout ce qui est : pour Schopenhauer, cette Volonté
(pour lui, immuable, comme les Idées) est souffrance ; la souffrance, le
manque sont ce qui la meut. Seul l’arrêt de cette Volonté,
dans la contemplation, par exemple, apporte la paix, —
temporairement.
Pour
Nietzsche, cette puissance pulsionnelle originelle et universelle
(diverse, fluctuante, changeante, ((Nietzsche ruine l’idéalisme —
en
laid — de Schopenhauer))) est « une passion affirmative », une
puissance débordante d'elle-même : elle donne, elle ne demande pas.
Et si elle cherche à satisfaire un manque, c'est déjà qu’elle
est souffreteuse, malade. Et c’est son expression agressive,
dominatrice, qui, seule, marque sa plénitude et la manifeste
authentiquement.
Dans ce
sens, Nietzsche est sadien.
Pour
moi, si on me demandait de m’exprimer sur le terrain de la
philosophie, pour y peindre ma Weltanschauung —
mais une Weltanschauung élaborée non pas
théoriquement mais expérimentalement, d’après ce que je vis et
ce que j’ai vécu —, je dirais que cette Pulsion
originelle primordiale
est une puissance affirmative qui ne trouve son expression la
plus complète et la plus aboutie
ni dans le repos ni dans le déploiement martial ou
conquérant mais dans son jeu
harmonique avec
elle-même, — lorsqu’une manifestation de cette pulsion
primordiale affirmative en rencontre une autre, agissant sur ce même
mode de l’affirmation
la plus absolue
et de l’abandon
et de l’harmonie les plus complets :
comme dans l'acte d'amour accompli, par exemple, où cette
affirmation la plus absolue, la plus involontaire et la plus
harmonique des Je
dans le Jeu
amoureux abolit les sujets, et leur permet d'atteindre un état de
grâce, unitif
et non plus contemplatif, où même l’affirmation de la Pulsion
en Jeu et en Désir disparaît,
dans son acmé, et où, en étant annihilés, les sujets de sa
manifestation deviennent enfin eux-mêmes : c’est-à-dire Dieu, —
pour le dire de façon provocante, — étant alors dans cette
dimension de l’au-delà
même
de la force pulsionnelle primordiale universelle — même comprise
comme Jeu
harmonique —,
dans la Présence et le Silence absolus.
Ce
qui dévoile alors, dans l’histoire de l’Homme — l’Homme ce
pont jeté vers le futur,
disait Nietzsche —, cette dimension à la fois primale et neuve qui
s'ouvre à Lui à l'instant historique où en S'affirmant
harmoniquement, passionnément et sans plus rien en contrôler, Il Se
dissout et accède enfin à Son être suprême, dans cette gloire et
ce silence sans pareils. Divins.
Dans
ce cas la force pulsionnelle primordiale universelle, dans sa vérité ultime,
est désir, harmonie cataclysmique, jouissance et extase unitive,
post-orgastique. Mais son affirmation est sa négation : la négation de l'univers réflexif, où elle existe seulement.
Ainsi
se manifeste-t-elle dans la génitalité accomplie, mais pas
seulement : dans une période compliquée de ma vie
sentimentale, je l’ai aussi trouvée dans le frisbee pratiqué à
près de 100 m de distance, comme une sorte de danse extrême
et harmonique,
sur des plages tropicales désertes, sous le soleil au zénith, en jouant
pendant des heures, pour finir épuisé mais débordant, perdu dans le ciel ; — ou encore en glissant, nu, dans les
vagues qui venaient s’enrouler sur ces mêmes plages.
Et
si, paradoxalement, cet état unitif — qui est son but et sa vérité — n’exige pas nécessairement une
expression paroxystique de soi — puisqu’on l’atteint aussi bien
dans le repos, la pérégrination, la contemplation etc. —,
l’abandon harmonique et paroxysmique à cette pulsion
originelle primordiale semble,
au moins pour la jeunesse, la voie royale et triomphale qui mène à
cet au-delà
de
la conscience et de la présence, que j’évoquais précédemment.
La
Volonté
de Schopenhauer (la force pulsionnelle primordiale et immuable
universelle qui constitue ou meut tout ce qui est) a le caractère d'un nourrisson
mal-aimé et affamé — pareil à un malheureux petit enfant
chétif, avide et angoissé —, comme le fut vraisemblablement
Schopenhauer lui-même, enfant mal-aimé, — si l'on se réfère à
la façon dont sa mère le traitait encore, jeune homme.
La
Volonté
de puissance
de Nietzsche est pareil à un rejeton tyrannique et heureux d’éprouver son
pouvoir sur ceux qui s’occupent de lui. C’est un jeune chien
despotique et destructeur ; et, qui plus est, heureux de l’être
— qui va à la mort au comble extatique de sa vitalité, en
attaquant un sanglier dix fois plus gros que lui.
Pour
moi, ce Jeu
harmonique (je
vous l’accorde : souvent désaccordé…) a l'âme d'un putto
jouisseur, qui se déploie comme
une fleur ;
c'est un petit éros
fou et joueur que rien n'arrête, ou encore, un chat en
zazen,
les yeux clos, bienheureux dans le soir.
Il
y a des enfants mal-aimés, affamés, que leurs mères auraient
préféré voir disparaître avant terme, dont la conception a été
douloureuse, et la naissance une souffrance cataclysmique, pour eux
et pour elles, — naissance qui elle-même suivait les traumatismes
pré-nataux que ce genre de grossesses leur inflige. Ces enfants, ils se font encore haïr davantage par leur
cris et leurs pleurs incessants, — qui n’expriment pourtant que
leur détresse. Le tout dans un cercle vicieux.
D’autres
enfants font souffrir leur mère non seulement lors de leur
conception, mais encore à la naissance, et toujours après, par
exemple en leur déchirant les seins lorsqu’ils les tètent, et en
les tyrannisant de mille façons ; mais leurs mères acceptent
de devenir leurs victimes consentantes, heureuses par exemple de leur
voracité, signe pour elles de la bonne santé de leur bébé.
D’autres,
enfin, font jouir leur mère, lors de leur conception, durant la grossesse, à la
naissance — la psychanalyse Hélène Deutsch a soutenu cette
thèse que
le point culminant de la satisfaction sexuelle chez la femme se
trouve dans l'acte d'enfanter — et puis ensuite encore lors des
tétées (c’est une expérience fréquente mais souvent tue et
encore culpabilisante, au moins pour les mères de l’aire
abrahamique). Ces expériences sensuelles partagées en font des
enfants choyés : choyés, ils n’en sont que plus aimables :
ils sourient aux anges. Rieurs, on ne les en aime que davantage. Dans le cercle de famille, leur « doux
regard qui brille fait briller tous les yeux. » (clic)
Lorsque
le Père apparaît dans leur vie, la crainte qu’il leur inspire
n’étant pas surdéterminée par les terreurs
infligées par la Mère archaïque, il civilise, sans pouvoir être
totalement castrateur ; son enseignement, les limites qu’il
impose, utiles socialement, ne sont rien en comparaison des extases
primitives : avec un peu de chance, de bonnes lectures et une
rencontre amoureuse favorable, et si la vie s’y prête, la violence
phallique, qu’il aura pu transmettre, pourra plus tard se fondre
dans une génitalité abandonnée, affirmative, extatique, qui pourra
se déployer finalement dans le cadre d’une vie poétique, illuminée mais aimable,
civilisée.
Évidemment,
personne n’est absolument l’un ou l’autre de ces enfants mais
seulement un cocktail de tous ceux-là, et chacun choisira
d’être schopenhauerien, nietzschéen ou vaudéen en fonction de la composition
son imprégnation primale, — même si, pour les deux premiers cas
de figure, rien, sinon une analyse réussie et une existence propice,
ne pourra jamais faire démorde le sujet de sa Weltanschauung.
À
travers l’Homme le souffle du monde cherche ses aises, cherche à
se créer les conditions d’un apogée aisé, et on doit aussi vouloir créer des situations historiques et
sociales, une civilisation, post-analytiques, qui favoriseraient le
dernier cas de figure que j’ai évoqué, plutôt que, dans un
esprit techniciste, marqué et guidé par l’injouissance, vouloir construire une machinerie technique insensée pour faire
naître des enfants en laboratoire, pour qu’ils se développent
ensuite dans des utérus artificiels.
Mais
l’injouissance
domine.
Enfin,
voilà ce que je dirais si je devais m’exprimer sur le terrain de
la philosophie. Mais on peut aussi bien dire, ainsi que le fait
Heidegger, qu’en définissant ainsi la force pulsionnelle
primordiale universelle (comme Volonté,
comme Volonté
de puissance,
ou même comme Jeu
d’Harmonie
extatique se dissolvant dans le Ciel de la Présence) on ne fait que
parler de l’étant sans jamais rien dire de l’Estre ;
et penser que, pour ce qui me concerne, je me préoccupe plus de
l’ouverture, affirmative-abandonnée et fusionnelle, « au
Ciel de la Présence » que d’autre chose, et que cela
n’est rien d’autre que l’ouverture — heideggérienne — à
la lumière
de l’Estre.
Qui sait ?
Mais
qu’importent les mots, pourvu qu’on ait l’ivresse, et vous me
faites parler et parler encore, retardant toujours davantage
l’opportunité, pour vous comme pour moi, d’être saisi, par
l’extase et le silence, et tout cela, qui plus est pour instruire
une espèce d’espèce peut-être en voie d’extinction !
Car,
Nietzsche l’avait déjà écrit :
«
Ce surpeuplement de la terre que vous redoutez avec votre myopie
sénile fournit justement leur grande tâche aux plus optimistes : il
faut qu'un jour l'humanité devienne un arbre qui couvre tout le
globe de son ombre, avec des milliards et des milliards de fleurs
qui, l'une à côté de l'autre, donneront toutes des fruits, et il
faut préparer la terre elle-même pour nourrir cet arbre. Faire que
l'ébauche actuelle, encore modeste, grandisse en sève et en force,
que la sève circule à flot dans d'innombrables canaux pour
alimenter l'ensemble et le détail, c'est de ces tâches et d'autres
semblables que l'on déduira le critère selon lequel un homme
d'aujourd'hui est utile ou inutile. Cette tâche est indiciblement
grande et hardie ; nous en prendrons tous notre part, afin que
l'arbre ne pourrisse pas avant le temps. Un esprit historique
réussira sans doute à se mettre sous les yeux la nature et
l'activité humaine dans toute la suite des temps, comme nous avons
tous sous les yeux le monde des fourmis, avec ses fourmilières
artistement édifiées. À en juger superficiellement, l'Humanité
aussi donnerait lieu dans son ensemble, comme les fourmis, à parler
"d'instinct". Nous nous apercevons, à un examen plus
serré, que des peuples, des siècles entiers s'évertuent à
découvrir et expérimenter de nouveaux moyens par lesquels on
pourrait faire prospérer un vaste groupement humain et en définitive
le grand arbre fruitier de l'humanité dans sa totalité ; et
quelques dommages que les individus, les peuples et les époques
puissent subir lors de ces expériences, c'est chaque fois pour
certains individus le dommage qui rend sage, et leur sagesse se
répand lentement sur les mesures prises par des peuples, des siècles
tout entiers. Les fourmis aussi se trompent et se méprennent ;
l'humanité peut très bien dépérir et se dessécher par la
stupidité des moyens, avant le temps ; ni pour celle-là ni pour
celles-ci il n'y a d'instinct qui les guide sûrement. Ce qu'il faut,
c'est plutôt regarder en face cette grande tâche de préparer la
terre à recevoir cette plante d'une extrême et joyeuse fécondité
— tâche de raison pour la raison ! »
J’avais
noté :
« J’aime
ce texte de Nietzsche qui définit le héros, le poète
post-nihiliste comme celui qui sait que le « grand arbre de
l'humanité » se développe porté par — mais, aussi, seulement
manifesté par — les innombrables bourgeons, fleurs, feuilles,
branches, cellules, racines, radicelles — qui apparaissent,
bourgeonnent, se déploient, meurent, tombent, sont remplacés par
d'autres — que le vent, les saisons, le cycle de la vie, la grêle,
les orages, la foudre frappent, emportent.
Qui
sait qu'il est lui-même un élément transitoire de ce grand
mouvement. Qui peut seulement aspirer à se hisser — et à hisser
l'ensemble — vers la lumière ; tout en sachant, comme le dit
encore très justement ce texte, que ce grand arbre peut très bien
lui-même dépérir et se dessécher, par la stupidité des moyens,
avant le temps : ce qui est une double acceptation du grand mouvement
de la vie — que nous incarnons, et qui nous fait apparaître...
Il
faut être mort au moins une fois pour savoir que l'expression carpe
diem
est très optimiste car qui sait si dans l'instant qui suit quelque
catastrophe, d'un genre ou d'un autre, ne nous aura pas frappé, nous
rejetant, d'une façon ou d'une autre, hors du puissant mouvement de
la vie [enfin,
sous notre forme actuelle…
note
de 2019],
rendu incapable de faire prospérer le « grand arbre fruitier de
l'humanité », de la seule façon qui vaille vraiment : en déployant
notre sensualisme contemplatif — galant. »
Donc,
place aux poèmes
Idylle
Dans
la cour du cloître
On
flotte encore dans le soir
Toujours
portés dans les airs
— De
Pergolèse —
Par
cet ensemble
— Sublime
de précision –
Sensible
et émotionnelle —
Où
brillaient
— Comme
deux étoiles —
Magali
et Paulin
— Divins
Voilà
ce qui est inestimable :
Cette
intensité fantastique
Cette
émotion en mille nuances
Toujours
virevoltantes
Entre
le drame et l'exultation
Menée
comme une même vague millimétrée
Par
ceux qui ont dédié leur vie
À
toujours ressusciter le génie
Par
leur propre génie
— Le
tout ici
Loin
des fastes du monde
Dans
une intimité
Que
tout l'or du monde
Ne
saurait acheter
C'est
d'ailleurs ce que l'on se disait :
Fussions-nous
à l'instant les plus riches de la Terre
Que
nous ne changerions rien à notre vie
Des
toits à nos palais…
Ça
oui !
Mais
pour le reste
Rien
ne vaut cette douceur dans la nuit
Et
de rentrer
— L'âme
encore toute bouleversée
D'avoir
ri et pleuré —
Rejoindre
la douceur de nos asiles
De
nos forêts
— Que
chantait Magali
Interprétant
Rameau —
Où
la grandeur est sans valeur
Et
que le Ciel a faits
Pour
notre innocence et pour notre paix.
Moins
émus nous aurions chanté à notre tour
— Nous
aidant au besoin
D’un
cornet à bouquin
Comme
celui qui nous émouvait il y a deux jours —
Dans
la nuit du retour
En
chœur et rieurs
Au
plus profond de notre cœur
Les
paroles de notre hymne :
« Jouissons
dans nos asiles,
Jouissons
des biens tranquilles !
Ah
! Peut-on être heureux,
Quand
on forme d’autres vœux ? »
Idylle !
Le 2 août 2019
R.C
Vaudey
Journal
d'un Libertin-Idyllique (Illuminescences) 2019
L’archaïque
Un
Tandis
que le monde s'écoule
Merveilleusement.
Sur
l'air cristallin
Des
molécules d'eau
Qui
coulent au bassin
Le
soleil me choisit
— Lui
dont le resplendissement
– Vespéral
–
Se
réverbère dans un carreau
Et
éblouit
Exactement
là ou je suis
– Allongé
négligemment –
Dans
le nonchaloir
Qui
s'ouvre comme dans un éventail de gloire
– Végétale
–
Qui
au lever de l'amour
Me
tient en lévitation sur un lit de repos
– Posé
dans le Beau
Reposant dans le
Bonheur –
Fait
de laine et de lin
Et
d'une sorte de douceur
Transcendantale…
Bref,
dans l'archaïque Un
Quel
angle fantastique
Quelle
combinaison magique
Et
quelle merveilleuse coïncidence
Pour
qu'à cet instant précis de l'histoire du monde
Se
croisent ainsi et s'illuminent
Nos
deux ondes
Et
que l'astre du Monde
M'éclaire ainsi
— De
sa lumière —
Dans
le Silence
Où
je m'abîme et me régénère…
Mystère…
Le
3 août 2019
R.C
Vaudey
Journal
d'un Libertin-Idyllique (Illuminescences) 2019
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