Historique
de l’expédition :
(La
carte du tendre)
Nous
sommes partis de là...
Sensation
Dans
les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté
par les blés, fouler l'herbe menue :
Rêveur,
j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je
laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je
ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais
l'amour infini me montera dans l'âme,
Et
j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par
la Nature, – heureux comme avec une femme.
Mars
1870.
Des
fleuves de sensations...
(Aurore...)
Je
suis revenu mais je n'oublierai pas
Des
piliers plus que d'or
Juste
devant moi
Un
village de conte
Des
voiles d'ouate
Qui
s'en arrachent
De
grands oiseaux sur des pierres
Lisses
et miroirs à la fois
Tous
ensemble qui s'envolent
Et
se détachent sur un incendie de ciel,
Une
forêt, noire,
D'un
autre âge qui veille
4
h et demie je ne suis plus là
La
Lorelei juste devant moi
Ne
saura pas
Jamais
Et
les reflets hallucinogènes du monde dans son dos
Dans
ses mille cheveux
Et
le poids de son corps sur moi
Des
fleuves de sensations
Nouvelles
De
la mer
Se
déversent
En
moi.
Juste
retour.
(Binz. Plage de la “Freikörperkultur”;
à l’aurore... )
à l’aurore... )
Des
illuminations aux illuminescences.
Nous
sommes donc partis de là... avec cette capacité intacte à
l’illumination qu’ont parfois encore les adolescents (à quinze
ans et demi...) que n’ont abîmés ni l’alcool, ni les drogues,
ni les orgies ordurières, ni les “romances” kitschs et délétères
; et que les routines obsédantes du monde n’ont pas encore saisis.
Ni les identifications sociales.
Nous
sommes partis de là... et, pour au moins l’un d’entre nous,
exactement au même âge que celui qui avait écrit ces vers –
presque jour pour jour.
Ni
plus ni moins.
Nous
sommes partis de là... du mirifique éveil au monde où l’on ne
parle pas, où l’on ne pense rien mais dans lequel l’amour infini
vous monte dans l’âme ; et, grâce à Rimbaud, en toute
connaissance de cause – privilège des poètes français...
Cet
éveil miraculeux au monde nous lui avons été, nous lui sommes,
toujours, fidèles ; il ne nous a jamais abandonnés ; nous ne
l’avons jamais perdu.
C’est
la base de notre aventure ; et si l’on ne comprend pas cela, on ne
comprendra rien à ce que déploient les sensualistes –
aujourd’hui. Ni à leur désaveu des sociétés, de leurs
“penseurs” et de leurs “histoires”.
Dès
ce départ, nous voulions, nous aussi, aller bien loin, “comme un
bohémien” – ce qu’il nous a fallu imposer au monde qui avait
d’autres projets pour nous, et qui ne l’entend jamais de cette
oreille (mais a-t-il seulement des oreilles ce pauvre monde ? Est-il
seulement ?)
Toutefois,
ce que nous voulions, par-dessus tout, vraiment connaître, c’étaient
cette union et cette jouissance amoureuses de l’homme et de la
femme, que Rimbaud dans ce poème présentait intuitivement, mais
avec raison, comme le lieu et la formule suprêmes où se
révèle l’amour infini qui vous monte dans l’âme, lorsque l’on
ne pense plus rien et que l’on va, dans ce monde, libre et sans
buts ; le lieu et la formule étalons, à l’aune desquels se
jugent toutes les autres illuminations poétiques (“heureux comme
avec une femme”).
Il
s'agissait de trouver cette jouissance avec l'autre sexe ; pour nous,
la femme.
Il
s'agissait donc de trouver ce qui est par-delà l’éveil, au-delà
des mots ; par-delà l'éveil à la beauté sans âge du monde
qu’offre la nature – qui nous possédait déjà, par éclairs ;
par-delà ce qu’avait noté, par exemple, le haïku. Dont l’auteur
d’une “anthologie-promenade”, en français, signalait, bien
avant nous, la pauvreté amoureuse-voluptueuse.
La
rencontre, l'appariement des sexes opposés, et la divine ardeur des
sens, loin, bien loin, comme des bohémiens, par la Nature, voilà ce
qui fut, dès l’origine, notre Graal. Au-delà du satori
“naturaliste...”
Mais
ce qui fait des sensualistes – et pour parler comme Lin-tsi – des
“pionniers d’avant-garde” contre, d’une part, la folie
rageuse du caprice névrotique souffreteux de l’injouissant
contemporain, pervers polymorphe qui s’emporte dans la pensée
techniciste et que la pensée techniciste emporte avec elle encore
davantage, et, d’autre part, contre les réactions passéistes
“spiritualistes”, y compris celle que peut représenter la fuite
dans “l'éveil”, plus ou moins schizoïde, à la nature, c’est
ce que nous avions appris également de Rimbaud qui écrivait encore
:
“La
Poésie ne rythmera plus l’action ; elle sera en avant.
Ces
poètes seront ! Quand sera brisé l’infini servage de la femme,
quand elle vivra pour elle et par elle, l’homme, – jusqu’ici
abominable, – lui ayant donné son renvoi, elle sera poète, elle
aussi !”
Le
mouvement, l’expansion, la création, le jeu, la rencontre et la
reconnaissance des êtres avec, par-dessus tout, l'amour, l’amour
charnel, comme forme supérieure d’accession à l'ouverture du
Temps poétique et à la contemplation, voilà ce que nous
recherchions. Ce que nous avons trouvé. Ce que nous offrons au
monde.
Mais,
à bien considérer les choses et le mouvement du monde, on
s'aperçoit sans trop de peine que c'est aussi ce que recherche
l'époque tout entière, ce qui est au programme “musical” de
cette saison-ci, en quelque sorte : “percer à jour le drame de la
conscience humaine afin d'apprendre à reconnaître pour les détruire
tous ses ennemis intérieurs” pour pouvoir trouver, enfin, par-delà
l'ancestrale Séparation et l'ancestrale guerre des sexes, la
jouissance du Temps et de la vie ; ce qui correspond, dans le même
mouvement, à trouver la clef des champs et des chants possibles d'un
déploiement poétique.
La
lumière.
L'aurore
pour de nouveaux siècles de Lumières.
À
venir.
De
toute façon, c’est à la pensée occidentale, celle qui a produit
le XVIIIe siècle français, que revenait le privilège de poser et
de résoudre la question du rapport voluptueux et égalitaire entre
les hommes et les femmes, et du dépassement de l’éternelle
guerre des sexes ; de liquider cette question du dépassement, d’une
part, du néo-matriarcat — qui progresse régulièrement depuis
quelques décennies et tente de nous préparer le même monde absurde
et “désenchanté” mais “fonctionnel” et régenté cette fois
– “en douceur” ou “en violence” bien castratrices – par
des pondeuses, le plus souvent anciennes agitées de la misère
sado-masochistement sexualisée... — dominé par cette vieille
folie des femmes du patriarcat — résultat de leur assujettissement
à la folie des hommes ; et donc de leur castration à la volupté et
de leur injouissance consécutives — faite de manipulation
narcissique de l’enfance, de régression dans l’analité sadique,
de masochisme pleurard et vengeur, d’hystérie spirite, et,
d’autre part, du patriarcat — résultat de la folie des
fils, des frères et des maris des premières – rendus fous par,
entre autres choses, la folie de leurs femmes, de leurs sœurs et de
leurs mères – et faite de manipulation narcissique de l’enfance
et du reste, de régression dans l’analité sadique, de masochisme
théâtral et vengeur, et donc de leur castration à la volupté et
de leur injouissance consécutives —, patriarcat qui, lui, a
bientôt fini de transformer cette planète en un charnier et une
poubelle invivables : la fameuse “poubelle de l’Histoire”...
Supériorité
française selon Céline : “... le marivaudage, croyez-moi, est
notre bien ultime aimable clef !... Amérique, Asie, Centre-Europe
ont jamais eu leurs Marivaux... regardez ce qu'ils pèsent,
éléphantins ! balourds maniéreux !....” (D’un château
l’autre).
Avant-garde
Sensualiste 3. (Janvier 2005-Juin 2006)
(Première mise en ligne : 19 janvier 2012)