Voilà,
dans le labyrinthe de la vie nous avons trouvé la mine de l'or du
Temps.
Des
jeunes filles et des jeunes gens, beaux ou intelligents, et qui ont d'autres soucis, sont à leur tour dans ce
labyrinthe : pourquoi ne devrions-nous pas laisser à leur
disposition des éléments de notre course et de nos dérives, et la
carte aux trésors, et même un reflet, si infidèle fût-il, de ces
trésors ?
Devrait-on
ne garder que les élucubrations de Platon, pour ne parler que de lui
(sa philosophie est comme le Parthénon que l'on considère dans sa
blancheur parfaite comme un modèle et une représentation du goût
quintessencié des Grecs, quant ce Parthénon était, à l'époque, en réalité tout bigarré
et peinturluré ; philosophie que, de la même façon, nos contemporains voient comme un modèle du même supposé goût éthéré
des Grecs, quand elle est en réalité toute surchargée de croyances
et de superstitions toutes bigarrées. Bien orientale.)
*
Je
rends compte d'une rencontre.
C'est
tout.
Je
ne rêve plus de pornographie, je rêve d'amour. C’est ainsi.
Les
ressouvenances galantes sont des délices.
Les
pulsions pré-génitales, qui font la pornographie, sont un tourment
; aussi « plaisant » que toutes les addictions.
Qu’y
puis-je ? C’est ainsi.
Pour
tout le monde.
*
Le
seul moyen d’y échapper c’est, sinon de tarir totalement la
source de ces pulsions prégénitales, du moins de désamorcer leur
intensité (par l’analyse, c’est-à-dire par le revécu
émotionnel autonome des traumas empêchant leur dépassement, et les
insights suivant ces revécus), — ce qui permet (si la vie s’y
prête), petit à petit (parfois directement), le dépassement de la
pré-génitalité, l’établissement de la puissance orgastique, le
déploiement de la génitalité accomplie, qui à son tour retire aux
fixations pré-génitales leur énergie libidinale, — en la
libérant.
Les
tentatives d’y échapper sans cela forment l’ensemble
des projections religieuses, idéologiques, sur le monde. Quelle
misère !
Je
relis le Phèdre : voilà un ouvrage, charmant au
demeurant, où l’on perçoit les angoisses que ressentaient cette bande de vieux pédophiles (Socrate, Platon et alii) devant leurs
pulsions pré-génitales destructrices et auto-destructrices : la
philosophie, finalement, y est présentée comme un moyen de tenir
ces pulsions à distance, de les sublimer.
Suit
une projection, paranoïaque et superstitieuse, fantasmagorique et
délirante : la violence des traumas affectifs refoulés,
inconscients, l’intensité de la fixation à ces stades
pré-génitaux, l’impossibilité d’une génitalité accomplie s’y
transforment en une projection hallucinatoire : comme l’enfant
qui voit des monstres, des dragons, des forteresses qu’il élabore
avec ses angoisses, ses traumatismes et sa libido « de lait »
(et qui ne peut que l’être), Platon élabore, à partir de cette
pédérastie grecque, une projection peuplées de fantaisies
« philosophiques » : en paraphrasant, on pourrait
dire : les traumatismes constitutifs qui ne pouvaient être
revécus se sont éloignés dans une représentation. Et quelle
représentation !
On
se figure, généralement, la pensée de Platon comme un monument de
rationalité épurée : c'est un bazar, un souk, qui vaut
celui de l'hindouisme : des âmes, des dieux, des processions
célestes, de la métempsycose : bref, elle est comme le
Parthénon à l’origine : bigarrée et peinturlurée. Bien
orientale.
Bazar
pour bazar, si j’avais à choisir, je préférerais celui des
Hindous : au moins, les femmes y sont-elles désirables, et leur
amour source possible d’éblouissements.
*
Seule
la génitalité accomplie ne redoute pas le désir, mais
désire sans crainte et sans honte : elle seule éblouit l'âme.
Qu’y
puis-je ?
C’est ainsi.
Elle fait cela à tout le monde
Elle
n’a rien à sublimer. Rien à craindre.
On
ne s’en repend pas. On ne s’en remet pas.
Elle
vous laisse dans cet état tout à la fois originel et abouti dans
lequel vous ne vous faites plus d’idées sur le monde mais où,
bouche bée, vous êtes le monde, — dans le silence
de l’esprit.
(Heureusement,
elle n’est pas la seule à permettre et à offrir cela.)
Les
fantasmagories philosophiques ou religieuses ont en commun d’être
produites par la réflexion cognitive, qui est un régime
subalterne de présence à soi-même et au monde de l’humain
(de plus envenimé par les traumas refoulés) ; — et d’y
condamner, si on ne les prends pas pour ce qu’elles sont : des « fleurs
de rêves », des œuvres d’art, au mieux, qui peuvent
agrémenter aimablement le ciel de votre lit, entre deux plongées
dans la Beauté, mais qui ne sauraient vous donner ce qu’elles ne
connaissent pas, et ce à quoi elles ne sont pas faites pour mener.
Jamais
le bavardage (et l’Homme est, aussi, bavard) sur la musique,
ni même la musicologie, ne vous apprendront quoi que ce soit sur ce
que c’est que d'être habité par la musique (quand on la joue ou
qu’elle vous emporte), et si vous ne savez pas ce que c’est
que d'être habité par la musique, vos connaissances en musicologie
peuvent bien être les plus raffinées qui soient, elles ne pourront jamais
que vous nuire.
C’est
dans ce sens que j’ai écrit, en paraphrasant Wilde :
Si
un homme est un Libertin-Idyllique et un gentilhomme de fortune, il
en sait toujours assez long, et s'il ne l'est pas, il peut bien
savoir tout ce qu'il veut, cela ne peut que lui nuire.
*
J’écris :
les ressouvenances galantes sont des délices. Soit. Mais que
sont-elles ces « ressouvenances galantes » ? Car si
tout le monde sait ce qu’est le rêve ou le fantasme nocturnes, ou
diurnes, de pornographie, qu’est-ce que le rêve d'amour ?
Les
« ressouvenances galantes » sont le souvenir,
quasi-revécu dans sa chair, dans son esprit, de sensations
miraculeuses, de sentiments bouleversants, de caresses somptueuses
qui mènent à une extase invoulue, insoutenable, en vagues
récidivantes, qui elle-même laisse dans un état de grâce
post-orgastique dans lequel le monde même de la représentation a
disparu, — et qui vous fait « comprendre », enfin, ce
qu’est l’illusion de la connaissance.
Les « ressouvenances
galantes », c’est le souvenir d’un mouvement dans lequel
n’apparaissent jamais ni la crainte ni la culpabilité, et où
l’ambivalence s’est dissoute. Et qui ne demande surtout pas à
être évité, et sublimé « philosophiquement ».
La
pédophilie n’ayant jamais fait partie de mes fantaisies (mes
fantaisies destructrices ne valent pas mieux mais n’ont jamais été
de cet ordre-là), j’ignore ce que pouvaient ressentir les
philosophes pédophiles grecs, chez lesquels l’amour des
adolescents (à partir de douze ans) se mêlait aux pulsions
destructrices du sadisme oral ou anal, mais je sais ce qu’un jeune
adolescent français, pré-analytique, de la deuxième partie du XXe siècle ressentait
lorsque son amour « romantique » d’une jeune fille —
d’une « camarade », même — de son âge, se trouvait
envahi, dans l’acte charnel, par ces mêmes pulsions destructrices
du sadisme oral ou anal : c’est moche ! (Blanche Gardin a
raconté une scène parmi d’autres de cette séquence de notre
« sexualité » adolescente : « Et là, le
mec me ré-encule »).
À
part que nous, jeunes apprentis philosophes, garçons et filles, à l'inverse de Socrate et de ses gitons, nous
n’avons pas accepté cette violence, aux sources névrotiques et
traumatiques complexes, qui interdit ou dénature le rapport amoureux
entre les hommes et les femmes en y imposant une violence qui
n’est en rien sexuelle (et
encore moins innée) mais uniquement infantile, et totalement
auto-érotique et égotique : nous avons plongé dans notre vie
affective (ses affres mais aussi ses miracles) — j’allais dire
jusqu’à ses origines ! — pour pouvoir finalement nous régaler des délices enchanteresses de la volupté sans ambages,
ultra-sentimentale et mystique.
Et
de fait, à la fin — ayant eu la baraka — : délices,
jouissance, extase, silence, fin de la représentation, — Un dans
l’indicible.
Voilà
comment on passe de la vie philosophique à la vie véritablement
contemplative, — unitive. C’est-à-dire à l’étape suivante,
celle du dépassement de l’ère de l’Injouissance
(l’ère du sado-masochisme) — qui n’aura duré que quelques
milliers d’années —, où se combineront le fond archaïque, tant
de l’espèce que de l’individu (fond archaïque unitif,
contemplatif, « divin »), avec ce que cette ère du
sado-masochisme (basée sur l’esclavage, le viol, l’exploitation
etc.) aura produit de plus aimable.
La
question est bien sûr : que restera-t-il des ravages de l’ère
de l’Injouissance, et laissera-t-elle la possibilité même de
son dépassement ?
Caraco,
voluptueusement et mystiquement sec, voyait ce dépassement comme un
retour au vieux matriarcat crouilleux : nous avons présenté
au monde une autre version (inouïe, inédite),
contemplative —
galante, de ce que
pourrait être le dépassement de l’Homme, — l’Homme, ce pont
jeté vers le futur : on pourra objecter que nous n’en avons
présenté que le tableau, et que le projet, lui, comme d’habitude,
ne verra jamais le jour : avouons que, partis d’où l’on
sait, nous avons découvert le projet à mesure que nous
« explorions » et « élaborions » le
tableau ; que cette « exploration » et cette
« élaboration » sont tout ce qui compte pour nous ;
mais disons aussi qu’il est dans l’ordre que des gentilshommes —
même de fortune — défendent les causes les plus belles, qui, comme les chants, sont parfois aussi les plus désespérées.
En attendant, Ô
Belles dames, Ô Gentilshommes, la vie est courte !
Si nous vivons,
nous vivons pour jouir et nous alanguir comme ne jouissent et ne
s’alanguissent pas même les rois.
Donc, belle vacance !
Donc, belle vacance !
Je
vous ai tenus longtemps, salut !
R.C. Vaudey, le 5 juillet 2019
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