On
peut douter de l'intérêt et de l'importance d'un travail analytique
qui permettrait le rétablissement des capacités poétiques
individuelles, c'est-à-dire en même temps, et dans le même
mouvement, le rétablissement, ou plus exactement l'établissement,
de la puissance orgastique “harmonique” grâce au déploiement de
la génitalité rendue possible par l'allégement — par le revécu
émotionnel autonome, l'analyse et l'intelligence — du poids des
traumas du passé...
On
peut douter, donc, de l'intérêt d'une telle entreprise pour la
grande majorité des individus. Le plus simple, pour les uns et les
autres, c'est de s'adonner aux différentes formes de compulsions,
sexuelles ou autres, qui manifestent ces traumatismes passés,
allègent passagèrement la tension et leur permettent de fonctionner
socialement,
plus ou moins normalement. Les pauvres vont exercer leurs fantasmes
de domination avec des “professionnelles”, et les riches, avec
d'autres “professionnelles”, leurs fantasmes de soumission. En
exagérant, bien entendu ; ou, les uns et les autres, de façon plus
“festive”, dans les clubs spécialisés. De toute façon, la
Société
de l’Injouissance
produit à la fois toutes les sortes de traumatismes et donc, aussi,
toutes les sortes de “professionnelles”
et toutes les
sortes de clubs, massivement.
Quel
intérêt pour les uns ou pour les autres d'entreprendre un travail
long pour lequel ils n'ont pas de temps (“vie de couple”,
enfants, collègues de travail, amis, familles, collègues de
“loisirs” etc.) et qui, au mieux, leur permettrait sans doute de
découvrir que leur existence n'a pas du tout été pensée pour la
poésie et pour le déploiement de la puissance poétique et
extatique — ou la génitalité.
Qui
pourrait — comme nous l’avons fait — se consacrer des mois
durant, des années durant, exclusivement,
à cette exploration de l'inconscient, sans que rien ne vienne
interférer dans cette ouverture aux émotions, aux traumatismes —
et aussi aux
grâces
— refoulés ?
Qui
pourrait organiser sa vie de telle sorte qu'elle favorise au maximum
ce déploiement poétique, cette puissance extatique retrouvée, et
cette génitalité puissante et abandonnée ?
C'est
tout le mouvement de la poésie moderne depuis Sade qui se confronte
au diable, qui entrevoit des béatitudes, qui trouve des voies à
travers l'enfer pour se retrouver en paradis, qui construit les
situations et essaie d'élaborer les rencontres qui puissent
maintenir cette vibration particulière dans le temps.
C'est
donc uniquement une affaire de philosophes et de poètes —
sensualistes.
Bien
entendu, je pense que le travail analytique, pour ceux qui veulent
l'entreprendre, est bon pour tous. W. Reich, cependant, avait déjà
insisté sur la difficulté qu'il y avait pour quelqu'un au sortir de
ce type d'analyse à rencontrer des partenaires qui puissent le
comprendre, et avec lesquels être au diapason.
Le
problème depuis cette époque est resté tout à fait le même.
Si
l'on ajoute à cela la difficulté particulière pour les philosophes
et les poètes de construire des formes de l'existence en dehors de
toutes les occupations sociales, et qui puissent favoriser cet accès
au divin de l'amour, de la jouissance et du monde, on comprend mieux
alors les difficultés de l'entreprise.
Dans
notre époque de balourds sans nuances, il faut vraisemblablement
ajouter qu’à
l’inverse il
existe des personnalités “préservées”, en quelque sorte, et
que ce “travail” analytique n‘est absolument pas un préalable
incontournable aux expériences sensualistes, amoureuses et poétiques
dont nous rendons compte.
Un
cadre émotionnel, artistique, sexuel-voluptueux, riche, une
compagnie choisie de personnalités profuses et sensibles dans des
lieux harmonieux sont pour certaines personnalités aimées des dieux
et des déesses, des conditions suffisantes pour qu’elles donnent
leurs meilleurs fruits ; et parfois même, une ou deux de ces
conditions sont-elles suffisantes à ce résultat.
R.C.
Vaudey
Avant-garde
sensualiste 3. Janvier 2005/Juin 2006
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