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MATISSE
Le
Bonheur de vivre
(Paris
1905-1906)
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Poésies
III
Les idées s'améliorent. Le sens des mots y participe. Le plagiat est nécessaire. Le progrès l'implique. Il serre de près la phrase d'un auteur, se sert de ses expressions, efface une idée fausse, la remplace par l'idée juste.
Autant
il reste encore, parmi les hommes d'aujourd'hui, de force poétique
en excès, celle qui ne s'use
pas à façonner les formes de vie,
autant faudrait-il exactement en consacrer, sans nulle soustraction,
à un but unique, non pas à brosser des copies du présent, à
réanimer et poétiser le passé, mais à montrer la voie de l'avenir
: — pourvu qu'on ne l'entende pas comme si la tâche du poète
était à l'instar de quelque utopiste de l'économie politique, de
préfigurer, dans le détail, dans ses images des conditions de vie
plus favorables pour la nation et la société, ainsi que les moyens
de les rendre possibles.
Comme
autrefois les artistes ne cessaient de recréer les images des dieux,
les Sensualistes recréeront indéfiniment, eux, la belle image de
l'homme, à l'affût de ces cas où l'âme grande et belle, sans le
moindre artifice, refus ou dérobade, est encore possible au milieu
de notre monde et de notre réalité modernes, où elle est aussi
capable aujourd'hui encore de s'intégrer à des situations
harmonieuses, équilibrées, y gagnant d'apparaître à la vue, de
pouvoir durer, exercer sa vertu d'exemple, et aider ainsi, en
suscitant l'imitation et l'envie, à créer l'avenir.
Les
œuvres des Sensualistes se distingueront en ceci qu'elles se
montreront inaccessiblement préservées du souffle embrasé des
passions. La méprise irrémédiable, le geste fracassant la lyre
humaine, les rires sarcastiques et les grincements de dents, tout le
tragique et le comique au vieux sens accoutumé on y sentira, au
voisinage de cet art nouveau, un pénible archaïsme, un avilissement
grossier de l'image de l'homme.
Force,
bonté, douceur, pureté, une mesure innée, spontanée, dans les
personnages et leurs actes ; un sol uni, qui rassure et réjouisse ;
un ciel lumineux se reflétant sur les visages et les scènes ; le
savoir et l'art confondus en une nouvelle unité ; l'esprit, sans
arrogance ni jalousie, habitant avec sa sœur, l'âme, et dégageant
de l'opposition la grâce, le sérieux, et non point l'impatience de
la dissension, — tout cela sera la sphère enveloppante et
générale, comme le fond d'or sur lequel les nuances délicates des
idéals incarnés constitueront une figure véritable, celle de la
grandeur humaine toujours croissante.
Bien
des chemins mènent à cette poésie de l'avenir ; mais il y faut de
bons éclaireurs et surtout une force toujours plus grande que n'en
possèdent les poètes et les littérateurs d'aujourd'hui,
c'est-à-dire les peintres inconsidérés de la demi-bête, du
manque de mesure et de maturité confondu avec la force et la
nature...
André
Breton notait, dans La confession dédaigneuse, que l'on
“publie pour chercher des hommes” : les Sensualistes le font, on
le voit, pour que des hommes et des femmes se rencontrent. Pour
l'empire des sens.
Il
faut donner au monde, aux femmes, aux hommes, l'idée de la rencontre
possible, c'est-à-dire l'idée de la liberté, de la création et de
l'aventure possibles, afin que “des êtres se rencontrent.”
Favoriser
l'apparition d'esprits libres, de femmes et d'hommes à l'esprit
libre et aux destins singuliers, est un des buts de la poésie
sensualiste.
A
tous les bons entendeurs, salut !
Avant-garde
sensualiste 2 ; janvier/décembre
2004
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