La
puissance extatique ou : “Aux anges, citoyens !”
À
propos des sentiments océaniques du fœtus : il me semble que l'on
exagère beaucoup la béatitude absolue du fœtus qui me paraît
plutôt un être en perpétuelle mutation accélérée ; il faut
plutôt voir dans cette surestimation des capacités extatiques de la
vie prénatale une forme de fantaisie sur cet âge de la vie qui
prend naissance chez des gens — les injouissants contemporains
— rendus incapables, par toute leur existence, de s'y
abandonner, ou, pour le dire peut être plus justement, souffrant
d'impuissance extatique.
La
puissance extatique — poétique, amoureuse — est, à mon
avis, un état spontané possible de la conscience de l'homme
— qui se développe ou s'atrophie, sous les coups du destin, mais
qui existe tout au long de l'existence ; il me semble que la vie du
fœtus est tout aussi transformée, et travaillée par la
transformation — et, qui plus est, accélérée —, que celle de
l'homme âgé, par exemple ; le désir et la sensation de croissance,
le désir et la sensation d'expansion, le désir et la volonté de
naître pour connaître, à son tour, l'ample amour, le vaste
monde, me paraissent tout autant marquer ce moment intense et
profond de la vie qu'une aptitude à l' extase océanique, et
représenter ce qui occupe et anime la vie fœtale.
La
puissance créatrice du vivant qui auto-bouleverse constamment le
nouveau-né, ensuite, est, elle aussi, marquée par l'appétit, la
soif de volupté, le rire, le désir tout autant que par la capacité
à l'extase océanique, que par cette capacité, que l'on voit
aux nourrissons, à être “aux anges”.
Cette
corrélation entre le sentiment de la puissance se déployant
voluptueusement et l'accès à la béatitude, cette capacité à être
“aux anges”, est une constante de la vie humaine, et la vie
prénatale ne me paraît pas devoir être, absolument, le lieu
privilégié de cette béatitude.
«
À ce point de précision, on voit bien pourquoi rien, ni les
consolations des bouddhismes, les calculs du tantrisme, les
blasements de l'alcoolisme, les absences excitées de l'échangisme,
les terreurs du conformisme, ni non plus les stupéfiances des
substances hallucinogènes, pas plus que les ivresses de la cocaïne,
de la gloire, du succès, ni la puissance de l'argent, le calme de
l'étude, les joies aigres de la misanthropie et celle des
collections patiemment rassemblées, ni non plus la jouissance du
pouvoir pas plus que les défoulements athlétiques ou les
agencements méticuleux des utopismes, et tout le reste que je ne
nomme pas, ne peut se comparer aux charmes de l'humanité réalisée
dont je parle en ce moment. » Manifeste sensualiste. (Note de 2013)
Seul
le traumatisme de la naissance — que je ne crois pas être non plus
une donnée biologique (comme la nécessité de l'oxygène pour notre
vie l'est, par exemple) mais plutôt une donnée de beaucoup de
civilisations patriarcales — me semble avoir donné cette
surévaluation des capacités à l'extase chez le fœtus, alors que
j'y vois plutôt un moment de vie électrisée par un mouvement
de transformation perpétuelle et accélérée.
Sans
doute faut-il voir dans cette exagération de la paix prénatale une
expression du besoin de dormir (non pas au sens d'un
sommeil voluptueux mais d'un désir, compréhensible, d'oubli)
qui frappe ceux que la vie ne laisse jamais en repos, dans un monde
inadapté à la sensualité du vivant, et un reste de cette époque
où l'on imaginait encore le nouveau-né, et, a fortiori, le fœtus,
seulement animé d'une vie purement végétative, sans émotions et
dépourvu de sens et de sensibilité.
R.C. Vaudey
Avant-garde sensualiste 2
Janvier/Décembre
2004
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