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vendredi 22 mars 2019
Cent mille ans en une nuit
![]() |
Giambattista
Tiepolo
Olympe
ou le triomphe de Vénus
(Vers
1750)
|
Chère amie,
Lin-tsi
aboyait : nous roucoulons
Il
cherchait à provoquer l'Éveil par le contact physique brutal.
Nous
trouvons l’Éveil par l'extase
harmonique.
Il
vivait dans des monastères Tch'an.
Nous
vivons dans notre ermitage, une modeste chartreuse, et notre idéal communautaire, si
nous devions en avoir un, serait plutôt celui de l'abbaye de Thélème
que celui d’un monastère du Tch'an.
Ikkyū fut longtemps un joli cœur
papillonneur.
Sans
avoir à nous forcer, depuis près de trente ans, nous sommes fidèles
l’un à l’autre, comme deux canards
mandarins.
Lorsqu'il
eut atteint soixante-dix sept ans, la belle Shinme (musicienne,
aveugle et de quarante ans sa cadette) et lui tombèrent amoureux. Il
ne papillonna plus, et se mis à roucouler
pendant dix ans, avant de réaliser sa transformation de transfert.
Nous
ignorons ce que nous ferons à son âge.
Il
a créé un art, zen, des jardins. Nous avons créé un parc, sauvage
et sensualiste. Une forme neuve de notre art sensualiste (se
rapprochant de ce qu’on appelait au XXe siècle le land-art),
art sensualiste devant
être
compris
comme le déploiement artistique et « sauvage » de cette forme
neuve de l'amour qui unit une femme et un homme, que nous célébrons
dans ce moment de l'anthropocène où l'hétérosexualité est
confondue avec la « pré-génitalité phallique », —
et
où la « génitalité sensualiste » dont nous parlons
est totalement ignorée.
Ikkyū a élaboré la cérémonie du thé. Nous n'en buvons pas vraiment, —
spirituellement.
Mais nous avons repris, sans beaucoup l'améliorer, la « cérémonie
du champagne », et des vins effervescents — ou non.
Notre
seule contribution —
mais majeure —
à cette cérémonie, à laquelle nous ne sacrifions que très
occasionnellement, est l'attention que nous portons á l'effet
« psycho-actif » des breuvages —
qui
sont choisis, en dernière instance, selon
la qualité de leur effet sur l'humeur —
que nous utilisons pour la pratique de cette « cérémonie ».
Pour
ce qui est de l'amour, je ne sais ce qu'en savait Lin-tsi.
Probablement connaissait-il les techniques du taoïsme où, comme
dans le Tantra,
il s'agit pour l'homme de maîtriser et de refouler l'éjaculation.
Van
Lisebeth, dans son livre sur le Tantra,
émet l'hypothèse que ces techniques des peuples de la vallée de
l'Indus sont des survivances de l'époque du matriarcat et du culte
de la Grande
Déesse,
—
que
les hommes devaient honorer, et satisfaire.
Patriarcat
ou matriarcat, le mâle humain se voit toujours réduit au rôle
d'instrument. La volupté lui est interdite. L'expression de sa souffrance
aussi. Et même, si possible, la sensation de celles-ci.
Never
complain, never explain.
Il s'y entraîne.
L’Homme
mâle ne semble pas pouvoir supporter la volupté, et s’il commence
à la ressentir ce qu'il appelle la « jouissance »,
suivie par la détumescence, vient y mettre fin aussitôt.
La
terreur de l'orgasme génital, dont parlait Reich, se double d'une
terreur qui l’empêche de savourer
longuement
la
volupté.
L’Homme
mâle est donc sensuellement, physiologiquement insensible, incapable
de supporter la volupté, et reste ainsi un masturbateur-voyeur, plus
ou moins dangereux, —
quand il n’est pas réduit à néant par son masochisme.
L’Homme
femelle, sur ce point, peut être plus plus puissant, orgastiquement,
mais ses orgasmes sont le plus souvent régis par le mode de
l'analité : limités et contrôlés. On
se donne des petits orgasmes ; on s’interdit, inconsciemment,
l’abandon à la jouissance profonde. De
sorte que les femmes restent, elles aussi, poétiquement
frigides.
On
ne leur demande d’ailleurs pas d’être poétiquement
fertiles.
Cela
dit, dans le monde tel qu’il est, personne n'a de raisons de faire
confiance à personne. Personne ne veut, ni ne peut, s'abandonner. Le
plupart du temps, ce serait une faute, dans la guerre sociale et dans
la guerre des sexes, que de le faire.
Je ne condamne pas, j'observe.
Henry de Monfreid,
dans sa Croisière
du haschich,
expliquait comment les hommes égyptiens, musulmans-polygames,
palliaient à ce handicap, psycho-physiologique —
aux origines vraisemblablement plus culturelles que « essentielles »
(quoi qu'en ait dit Freud) —
par leur usage du haschich, alors que les Britanniques le leur
interdisaient pour écouler leur opium, comme en Chine (d’où la
« croisière » et la contrebande).
Le
haschich, lorsqu'il est bon (et vous savez que, même si je n'ai plus
jamais fumé depuis plus de vingt ans, j'ai goûté et pratiqué, au début
des années quatre-vingt, en Asie, le
meilleur haschich du monde : « l'afghan du roi » : c’est-à-dire produit
par celui qui avait été le fournisseur du roi d'Afghanistan, quand ce
pays en avait
encore un), le haschich, donc, permet certes aux
hommes de jouir
de la volupté
—
ce qui leur permet d'amener les femmes à la jouissance et de les y
accompagner, longuement. En cela, il n'a pas les défauts de l'alcool
qui insensibilise
physiquement
et qui, assez souvent, enrage
psychologiquement.
Le
problème, outre les qualités médiocres (excessivement dosées, ou,
à l'inverse, coupées et dangereuses) généralement offertes par un
marché clandestin, c'est que cette ouverture vers des zones
archaïques de la sensibilité permet un accès plus facile non
seulement à la jouissance mais aussi à la souffrance refoulées (ce
qui peut entraîner des troubles psychologiques plus ou moins
graves : attaques de panique, dépressions, décompensations etc.), et,
surtout,
qu'elle enferme
l'individu dans le monde de ses propres fantaisies,
— ce qui n'est pas gênant pour un polygame devant satisfaire des matrones et/ou son
« personnel domestique », mais rédhibitoire pour des
amants qui veulent se re-co-naître,
mystiquement, poétiquement dans
le
monde.
L'abandon
amoureux sensualiste dont nous parlons consiste non pas à bloquer la
jouissance explosive chez l'homme (pour « satisfaire » la
femme), ou à négliger la jouissance des femmes (pour la
« satisfaction », plus intellectuelle et voyeuriste que
voluptueuse, des hommes) mais à favoriser une jouissance
pluri-orgasmique chez les deux amants : un homme pouvant
éprouver de nombreux « pics de jouissance »
(suivis
d’accalmies langoureuses),
mais non accompagnés d’éjaculation, avant les vagues de l’orgasme
suprême, l’éjaculation, et, finalement, la détumescence.
C’est même en cela que consiste la « puissance orgastique » que Reich avait découverte chez ses
patients, il y a près d’un siècle, et qui seule permet le déploiement de
la masculinité et de la féminité accomplies.
Mais,
surtout, cet abandon amoureux sensualiste — et c'est peut être
cela qui rend le reste possible (ce
qui est vrai, réciproquement)
— est
une forme sentimentale —
un peu extrême, peut être — de l'accord charnel, qui de ce fait
devient
mystiquement, poétiquement, fécond.
Au-delà
de la guerre ancestrale entre le patriarcat et le matriarcat, la
femme et l’homme peuvent dépasser leur égoïsme — par
« intérêt » poétique supérieur, diront les esprits
chagrins —, et trouver l'Infini et l’Éternel qui sont en eux.
Bénis
soient à jamais les amants subtils
Qui
voulurent les premiers, dans leur félicité,
S'éprenant
d'un problème utopique mais fertile,
Aux
choses de l'amour mêler la grâce abandonnée !
Ceux
qui voudront unir dans un accord mystique
L'ombre
avec la chaleur, la nuit avec le jour,
Chaufferont
toujours leurs corps athlétiques
À
ce soleil rouge que l'on nomme l'amour !
Et
encore…
Loin
des peuples torturés, vagabondes, vivantes,
À
travers ces déserts jouez comme des loups ;
Faites
votre destin, âmes bien ordonnées,
Et
trouver l'infini que vous portez en vous !
Ikkyū le savait déjà, qui écrivait :
C’est
la bouche originelle, mais il reste muet ;
Il
est entouré d’une magnifique touffe ;
Les
gens sensés peuvent s’y oublier complètement ;
C’est
aussi l’origine de tous les Bouddhas des dix milles mondes
Et
encore…
Les
disciples de Lin-tsi ne comprennent pas le Zen
La
vérité a été directement transmise à ma hutte (surnommée) l’âne
aveugle
Faire
l’amour dans les trois existences à venir, au cours de soixante
kalpa.
Le
soir le vent d’automne est de cent mille ans.
« "Cent
mille ans en une nuit" affirme que le "présent
éternel" transcende le temps », commente le traducteur,
Katô Shûichi.
« Dans
Point
de lendemain,
le corps sensible est représenté comme le lieu pas exactement d’une
transcendance mais bien d’un contact avec l’éternel. La
suspension du temps dans le plaisir érotique correspond ainsi à une
transsubstantiation de l’infini en la chair de l’homme ou de la
femme à plaisirs. » écrit, pour sa part, Madame Ganofski
dans son étude, très inspirée : La
suspension du temps dans Point de lendemain : lecture sensualiste
d’un nocturne libertin.(clic)
Que
Lin tsi ait été un Libertin-Spirituel (entendez : libre dans
le domaine de la spiritualité), comme le disait Calvin de ceux qui
seraient finalement anéantis, cela ne fait aucun doute : il
possédait même la liberté
suprême.
Que Ikkyū ait été un Libertin-Spirituel, doublé d'un libertin de
mœurs, au moins une bonne partie de sa vie, ne fait aucun doute non
plus. Son « libertinage » à la fin de sa vie, comme le nôtre, aurait pu
être qualifié d'idyllique, —
parce
que débouchant sur l'indicible
et le souverain.
Les
Français (montrant la voie), au dix-neuvième et au vingtième
siècles, ont choisi une autre route, et ont préféré comprendre le
libertinage comme une forme de la débauche plus ou moins rouée,
couplée avec une dévoterie et une adoration de la Technique
et
du Progrès
(la Technique
soutenant le libertinage, et ce dernier divertissant
des progrès de la première) —, ce
qui ne les a menés (comme les autres) nulle part, — sinon dans le
bourbier collapsologique actuel.
Enfin,
nous perpétuons, aussi, une tradition : si les Français ont bien
inventé l’amour, ainsi que l’a exposé, intelligemment, Madame
Yallom (sauf à propos de Sartre et de Beauvoir, où elle a montré
qu’elle avait seulement été leur dupe, et celle de son époque),
ils l’ont fait aussi dans cette région, — avec la comtesse de Die.
Disons
qu'avec nous ils continuent, — en quelque sorte là où ils avaient commencé.
Deux
heures du matin
Dehors
Le
ciel
Le
splendeur
L'illumination
Le 21 mars 2019, sous la pleine lune.
À
vous,
R.C.
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lundi 18 mars 2019
vendredi 15 mars 2019
KHÂT !
Chère
amie,
Vous
avez raison, c'est Ta-yu (page 209 des Entretiens) qui dit à Lin-tsi : « Alors
que Houang-po, comme une bonne vieille grand-mère, s’est donné
tant de mal pour toi etc. » (Houang-po était un géant de
sept pieds de haut ((plus de 2,10 m ! )) qui pratiquait l'Éveil par
le contact physique violent ! Bigre !)
Du
coup, après avoir relu le texte, que j'avais cité rapidement, je
pense que la traduction est littérale.
Quels
qu'aient été les souffrances et les traumatismes que vous avez
endurés dans votre enfance, dans votre vie, l'Homme vrai sans
situation, en vous, peut être révélé et réveillé par une
bonne vieille grand-mère, — fût-elle haute de plus de deux mètres
dix. Voilà ce que dit Lin-tsi. Le cœur, c'est l'enfance.
Bien
sûr, cet enfant dont je parle n'est pas le sale gosse des cours de
récréation.
C'est
bien le cœur archaïque le plus profond, avec sa perception, son
intuition totales, infra-verbales ; sa plénitude et sa présence
absolues au monde.
Bien
sûr, ce sont des moments de l'enfance primale, pré-verbale — qui
n'est pas que cela — mais c'est vers ce cœur que doit aussi
tendre une analyse sensualiste, dont le but n'est pas d'adapter un
individu à un monde plus ou moins catastrophique et à ses normes
plus ou moins hagardes, mais de lui permettre de déployer — tant
que les circonstances le lui permettent —, à partir de cette
présence totale retrouvée, sa souveraineté poétique,
sentimentale, amoureuse, sexuelle, philosophique (ou plutôt
anti-philosophique), — à laquelle chacun, idéalement, a droit.
Comme le dit Lin-tsi lorsqu’il s’éveille : « Après
tout, le bouddhisme de Houang-po, ce n’est pas grand-chose ! ».
La
vie traumatique est ce qui sépare de ce cœur rayonnant de lucidité,
de bonté, d'extase, de présence béatifique et de perception
immédiate du monde, — dont le névrosé adulte n'a plus aucune
idée.
L'analyse
est le chemin qui y mène.
Pour
quoi faire ? J’espère que ce Bureau peut en donner une
vague idée.
Mais
je crois que dans certaines conditions les défenses peuvent céder
d'un coup et réveiller cette âme « aux anges »,
profonde, poétique, esthétique, absolument indépendante et sans
aucun besoin de tuteur religieux ou philosophique — parce que
absolument présente dans ce qui n'est pas encore le temps, bref,
parce que souveraine et océanique.
L’amour contemplatif — galant
est un de ces raccourcis vers cet état de perception premier, qui,
en retour, rend cette forme de l’amour possible et familière.
Il n’est pas le seul.
La
plus perdue de toute les journées est celle où l’on n’a pas
vécu un poème. Certainement pas celle où l’on n’a pas joué
avec les « illusions et fleurs de rêves » des idées sur
le monde.
Il ne s’agit pas d’avoir des avis philosophiques sur le
monde, mais d’être immergé dans le monde, — un avec lui.
Comme
on ne peut pas être dans ce « coma extatique » dont
parlait — avec le mépris de l’injouissant spontané — le Père
Wieger, jésuite et traducteur de Lao-tseu et de Tchouang-tseu (« Ce
sont des exclamations échappées à des abrutis momentanément tirés
de leur coma. »), on a des idées « philosophiques »,
qui seraient charmantes si elles se connaissaient pour ce qu’elles
sont : vaines. Des passe-temps plus ou moins artistiques.
Mais
bon, les théologiens (de toutes les religions) resteront toujours
des théologiens, et les mystiques des mystiques : il y a ceux
qui parlent de ce qu’ils n’expérimentent jamais, et ceux qui ne
peuvent rien dire de ce qu’ils vivent, directement, souvent. Et ce
qui est vrai des théologiens vaut aussi pour les philosophes, —
qui ne sont la plupart du temps que des théologiens déguisés. Les premiers, les
théologiens de tout poil, et leurs adeptes, continueront de
s’entre-déchirer pendant que les seconds, seuls, essaieront de se
tenir à l’écart de ces furieux — sourds, aveugles mais bavards
forcenés —, et de leurs mêlées.
Malgré
cela, on cherche toujours à faire ressurgir ce cœur profond chez
tel ou tel que l’on croise.
Lin-tsi
disait avoir cherché beaucoup, — et en vain.
Je
l'ai lu à dix huit ans, et il m’a pêché à
plus de mille ans de distance, ce vieux gaillard.
Lacan
a voulu imité son air mais il n'avait pas la chanson.
Pour ma part, cet
air ne me concerne guère : je n'ai jamais eu à former des
étudiants ou des disciples, comme Lacan, qui voulait aussi imiter
Freud. Les manières sibyllines et les éructations théoriques
mallarméennes ne sont d'aucune utilité à un gentilhomme de
fortune vivant retiré depuis près de trente ans sur ses terres, —
où il roucoule.
Je
n'ai jamais eu ni à appartenir à, ni à gérer de chapelle
littéraire, philosophique, ou psychanalytique.
En
cela plus près de Montaigne.
J'avais
seulement voulu répondre à un jeune scélérat qui me voyant ainsi
roucouler bienheureusement avait cru pouvoir venir me tirer les
moustaches impunément, et que je pensais, moi aussi, pouvoir
rappeler soudainement à lui même.
Mais
bon, encore un coup d’épée dans l'eau, — vraisemblablement.
(Quoique, finalement, il semble que le gaillard ait de la
ressource !)
À
vous,
R. C.
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lundi 11 mars 2019
vendredi 8 mars 2019
L’Homme vrai sans situation
La
fleur de la transmission, l’esprit serein du Nirvana…
Tout
le secret
est effectivement de pouvoir s’abreuver aux sources des béatitudes
de la petite enfance.
Les
traumas entraînent la formation des cuirassements caractériels et
intellectuels qui protègent de ces souvenirs traumatiques mais qui
coupent également de ces sources vivifiantes.
Le
secret de l'analyse
sensualiste
c'est de rouvrir — par le revécu émotionnel autonome et/ou
l’insight
— ces canaux d'accès à ces sources originelles, condamnées par
les souffrances et leur refoulement.
Dans
le Tch'an,
on trouve ce même mouvement : lorsque Lin-tsi retrouve enfin
la voie de la béatitude primale et de sa lucidité et de son autorité immédiates, il
retourne chez Houang-po, qui fait semblant de s’étonner :
« Quand y aura-t-il un terme aux allées et venues de ce
gaillard ? », et Lin-tsi de répondre : « C’est
seulement parce que vous m’avez montré tant de gentillesse, comme
une bonne vieille grand-mère ! » (clic)
Inconsciemment
et spontanément, l’ex-novice évoque cette période de l’enfance,
dont il a retrouvé, grâce à Houang-po, le regard et la
clairvoyance
sans mots.
(Ou bien, si le chinois de Lin-tsi dit autre chose, c’est
Demiéville qui, dans sa traduction, y revient tout aussi
inconsciemment…)
Tout le monde n'a pas la chance d'avoir eu une mère aimante, ni même une mère : parfois, la grand-mère est la « bonne mère » ; parfois, c’est le vieux gaillard lui-même qui tient ce rôle.
Bref, il s'agit de redonner l'accès aux capacités poétiques et à l’autorité primales perdues — la mine de l’or du Temps —, et à leurs illuminations.
Mais c'est comme atteindre le sommet d'une haute montagne : lorsqu’on y est, on n'en parle pas : on se tait ; on contemple ; on jouit — en silence.
En amour, tout cela donne le contemplatisme galant, — dont Ikkyu est une sorte de précurseur.
Tout
le secret
est bien sûr dans cet accès retrouvé aux sources des béatitudes
archaïques mais, en même temps, la source n’est pas le fleuve :
elle n'a pas son déploiement, ses méandres, son expérience, —
acquis à force de parcourir sa propre vie et le monde. Elle est primordiale mais
elle n'est pas le développement.
Les
amants éveillés et émerveillés — pas plus que les vieux gaillards
du Tch'an — ne sont pas seulement des enfançons. Les premiers sont le
déploiement des seconds : l'inverse n'est pas vrai. Les amants
ont leur expérience unique d’amants, un désir, une force, une
vie, une liberté etc. que n'ont pas les enfantelettes, les enfantelets ; ils ont les
capacités d'émerveillement et d'abandon de l'enfance mais déployées
et mêlées avec des qualités et une liberté de femme et d'homme
dans la pleine maturité de leur âge.
Mais la masculinité et la féminité accomplies ne peuvent l'être sans
cette capacité retrouvée à la confiance, à l'abandon et à
l’émerveillement enfantins : ce qui provoque le mépris de
l'injouissant qui, lui, doit — sous peine de s’effondrer — se
maintenir dans la roideur, — et qui y voit même un signe de
supériorité.
D'où
l'ironie, dans le Tch'an, envers les textes sacrés et les « gnomes
aveugles » qui
s'appuient sur eux comme de bons élèves, croyant
que la connaissance des textes peut apporter autre chose que la
connaissance des textes et
la reconnaissance plus ou moins paternaliste d’autres gnomes
aveugles.
Chacun se présente en spécialiste — délié ou rigide mais toujours savant — des textes sacrés du bouddhisme mais les vieux gaillards qui partagent ce privilège de la sensation béatifique retrouvée et des illuminations qu'elle procure se foutent de tout le reste.
Ils voient seulement des semi-zombies tout chargés de leurs pesantes cuirasses de papier et de fantasmagories sur le monde.
On
ne peut rien dire sur le monde : ceux qui parlent ne savent pas,
et ceux qui « savent », lorsqu'ils savent, se taisent.
Le blabla contre le blabla est encore et toujours du blabla : seul le passage dans cette gloire que les théologiens appellent essentielle — l’éternel présent — importe. Passage que les larmes, ou le sourire, signent le plus souvent, — le silence, toujours.
Le boniment ratiocineur, la philosophie travestissent les souffrances, et marquent, seulement, cette injouissance — ainsi que je l'ai nommée —, cette perte de la faculté de l'illumination poétique, mystique, amoureuse.
Une
fois que l'on a retrouvé cette faculté, c'est comme connaître un
tour de magie : tout semble simple et tous ceux qui bavardent
autour de l’affaire sans connaître le secret amusent ou font de la
peine.
Mais
l'éveillé a bon cœur — comme tous les petits enfants heureux. Il balance une mandale au novice ou au discoureur en
espérant lui ouvrir les yeux d’un coup.
Et
puis, il s'en va, en secouant les manches.
(Ce
que je fais en ce moment.)
S’éveille
qui pourra…
On
ne pourra pas dire qu'avec toi je n'aurai pas lourdement essayé car,
comme le savait déjà Lacan (qui ne possédait pas le secret), j’aurais pu « te répondre par un simple aboiement,
mon petit ami. »
R. C. Vaudey
Correspondance
Le 8 mars 2019
.
mardi 5 mars 2019
Une vie baroque et galante
Sous
le violon d’Enrico Gatti
Jouant
l’andante d’une sonate en trio de Tartini
Nous
nous prélassons
— Après
avoir fait
Dans
le printemps et l’après-midi
Ce
que Voltaire conseillait de faire :
Nous
être occupés de notre jardin
Quand
et comment passe-t-on dans l’IMMENSE DIMENSION ?
Par
exemple, après avoir coupé un vieux sureau desséché
Sur
le tapis d’une petite herbe verte et dense
Parsemée
de crocus
… Et
surtout de jonquilles
Plus
tard
— Dans
le soir —
Le
bouquet que l’on en a fait
Nous
sidère par sa simple beauté…
On
en demeure interdit
(Je pourrais rester toute ma vie en arrêt
Devant
un bouquet de jonquilles…
Je
suis resté toute ma vie en arrêt
Devant
ce bouquet de jonquilles…)
Et
voilà !
Comment
viennent de nouveau la Belle Absence…
Le
Paradis…
Et
l’on sent qu'on pleure chaudement…
Sous
le violon de Gatti…
Jouant
les sonates en trio
De
Tartini
Ô
Monde !
Pourquoi
es-tu si beau ? *
Le 5 mars 2019
Journal
d’un Libertin-Idyllique (Illuminescences) 2019
* Post-scriptum
Le
philistin répond : pour exister à nouveau…
La
séparation…
La
production…
La
reproduction…
— Et
son complot… —
L’injouissant
voit la vie comme un immense complot
Pour la production et la reproduction !
Pour la production et la reproduction !
Point de vue d’époque !
Et de fils de pasteur
— D'usurier ou de camelot !
Mais
le monde est seulement peuplé de jouisseurs
Qui
veulent se fondre dans la Beauté
(Les autres n’ont pas lieu…)
Comme le sait le moindre étourneau…
Le
moindre moineau…
Pour
le vivre…
— Qui
méprisent l’espèce vaine
Qui
s’enchaîne
Et se détruit
Aussi sûrement qu’elle se hait
Et se détruit
Aussi sûrement qu’elle se hait
— Sans
méprise
Quant
aux jonquilles
— Auxquelles
je dois tout depuis mon berceau —
Je
leur tire mon chapeau
Idem
.
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