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L'Indolente Pierre Bonnard 1899 |
Ceux qui
cherchent la pensée libre dans le respect craintif de tel ou tel du passé ne
savent pas ce que c'est qu'un marteau et ne sont pas assez légers pour danser,
pour danser la pensée : ils devraient plutôt aller faire de la … (inaudible)
ou quelque chose du même genre, tout juste bon à impressionner les paysans.
Vous qui voulez
tant étudier auprès d'autrui, vous agitant comme les vagues de la mer, vous ne
finirez ainsi, au bout de périodes cosmiques incalculables, qu'à retourner aux
naissances et aux morts. Mieux vaut être sans affaire et rester assis au coin
de votre ermitage, les pieds croisés au coin de votre banquette !
Loin de tout,
seul, dégagé, je ne suis pas gêné par les choses ; dussent le ciel et la terre
se renverser, je ne douterais pas ! Dussent tous les théoriciens des cent mille
formes de l’arriération et de la fausse modernité ou post-(etc.)modernité etc.
se manifester devant moi, je n'aurais pas une pensée de joie moqueuse ; dussent
les trois voies de l'enfer apparaître soudain devant moi, pas une pensée de
crainte ! Et pourquoi tout cela ? Parce que je vois le caractère vide de toute
chose : rien n'existe que par transformation, sans transformation il n'y a
rien. Le monde n'est qu'esprit ; les choses ne sont que produits de notre
faculté de connaissance. C'est pourquoi :
“Fantasmes de
rêve, fleurs dans l'air :
Pourquoi se
fatiguer à vouloir les saisir ?” … ainsi aurait parlé Lin-tsi…
Lorsque je fais
référence aux taoïstes, aux “tantristes” etc. et, de l'autre côté, à Mademoiselle de
Scudéry ou au jeune Montesquieu, ce sont tout au plus des indications sans
importance réelle.
Le bavardage
sur l'amour ne vaut pas l'état de plénitude alanguie (j'arrive à peine à me
défaire de l'éblouissement que me procure dans le soir couchant un ciel d'un
bleu tendre tournant vers le blanc, que j'aperçois au travers d'une petite
fenêtre dont les deux battants peints en blancs sont ouverts et dont un seul
masque un tiers environ du petit tableau qui se forme ainsi, et qu'occupe pour
le reste le feuillage dense vert et lavé par la pluie cet après-midi tombée
dense, après ces journées et ces semaines de canicule, dans un ciel gris et
sombre dans le tonnerre de l'orage sur les collines de l'ermitage — la brume
envahissant tout, plus tard, à sa cessation —, j'arrive à peine à m'extraire —
alors que je parle ce texte que note aussi scrupuleusement qu'il le peut le
robot qui me sert de secrétaire particulier — de cette vision céleste de ces
nuages poudrés d'or rose qui défilent dans le petit tableau de la fenêtre —
comme dans un tableau mobile... (long silence)... — dans une grâce que ne
saurait vraisemblablement jamais m'offrir aucun tableau, du moins si je ne lui
avais donné avant la puissance de grâce de ces jours totalement dédiés à
l'amour... une béatitude...
Il n'y aura pas
de controverse des sensualistes avec qui que ce soit sur la questionde l'amour
; notre art consiste essentiellement à en jouir... (long silence) ... Pas à en
controverser…
Je reviens sur
la question de la phrase de réveil de sommeil d'amour qu'il
faudrait combiner avec cet air de lendemain dont on parlait au XVIIIe
siècle, et dont Michel Delon dit dans Le savoir-vivre libertin que, dans
un texte (de l'an IX), cette expression en était venue à ne plus signifier un
air particulier que les jeunes gens recherchaient aux jeunes filles après une
nuit d'amour, ou, mieux encore, après leur première nuit d'amour, et dont ils
étaient fiers, mais plus particulièrement l'état d'alanguissement amoureux
particulier des deux amants au lendemain de l'amour.
Les
surréalistes, tout à la découverte de l'inconscient et du continent noir qui
s'ouvraient ainsi à eux, avaient mis en avant l'écriture automatique en
s'inspirant de la pratique psychanalytique : cette forme d'écriture traduisait
elle-même l'état de la recherche poétique à ce moment du monde. Une écriture
souvent énervée, douloureuse, solitaire également, onaniste — qui correspondait
bien à l'état du “chantier” poético-amoureux, à l'époque — même si elle garde
ses pouvoirs d'enchantements.
Les
sensualistes mettent en avant une autre forme d'écriture : celle qui suit
l'extase et ses illuminations (ses “illuminescences”…) , et qui correspond
également à l'état de la question poétique et amoureuse après un siècle d'exploration,
de découvertes littéraires, artistiques, d'expériences individuelles et de vies
dédiées à l'exploration profonde de ce qu'est l'Homme une fois qu'on l'a libéré
du carcan de la famille clanique, de la métaphysique et de la religion, du
travail et de l’hypnose technologique et, également, débarrassé — dansant dans
une totale indépendance — de la rage destructrice et autodestructrice résultant
à la fois du monde, de cette dissolution, des scories du monde précédent, et
des scories de cette dissolution elle-même.
Phrases de
réveil d'amour et, plus particulièrement, inspirations de réveil
d'amour, de réveil du sommeil d'amour — qui, on le sait, à quatre heures du
matin, l’été, dure encore — ces phrases et ces textes qui portent cet “air
de lendemain”, ces phrases et ces textes de lendemain, seront
la marque des sensualistes et correspondront pour eux à ce que fut l'écriture
automatique pour les surréalistes.
R.C. Vaudey.
Avant-garde
sensualiste 2 (janvier/décembre 2004)
Post-scriptum du 15 décembre 2012
À propos de
cette heureuse lassitude et de ces noces avec le monde, on
pourrait dire ce qui suit :
Bien que les
avis s’opposent sur l’origine de la violente négativité humaine, exprimée
sexuellement ou autrement, constitutive de l’Homme et de l’Être (ou du Devenir), suivant
certains qui, selon nous, “idéalisent — en laid”, relative, selon
d’autres ayant été pourtant passablement échaudés : “Toutes les discussions sur
la question de savoir si l’Homme est bon ou mauvais, s’il est un être social ou
antisocial, sont autant de passe-temps philosophiques. L’homme est un être
social ou une masse de protoplasme réagissant irrationnellement dans la mesure
où ses besoins fondamentaux sont en harmonie ou en conflit avec les
institutions qu’il a créées.”, malgré ces avis divergents, donc, que les
lecteurs se rassurent : si rien ne prouve que le libertinage idyllique —
et, par notre voix, l’apparition-définition, poétique, philosophique et
littéraire, affirmative et passionnée, de cette troisième forme du libertinage en Europe
— marquent le début d’un commencement de l’ébauche de l’esquisse de l’amorce
d’un dépassement de l’ère sadienne ouverte dès la survenue du patriarcat, et
débondée avec sa dissolution-intensification que représente la pensée nihiliste
libérale, dès le XVIIe siècle, tout confirme, à l’inverse, que, si l’abus des
jouissances poétiques et amoureuses n’améliore peut-être pas le sort de notre
espèce — que certains jugeront heureusement condamnée à disparaître rapidement
—, ces jouissances poétiques ne nuisent en rien aux individus qui les
éprouvent.
Que les
lecteurs ne se restreignent donc en aucune façon, dans ce domaine, si la chance
des rencontres et des situations veut bien les caresser de ses grâces, et
qu’ils sachent que le Temps retrouvé, contre l’esprit sadien — le leur, et
celui du moment historique qui les contient et les formate — ne leur sera
jamais ni volé, ni enlevé ; pas plus que ne disparaîtront les délicates
affirmations poétiques que ces noces avec le Temps leur auront inspirées — et
qu’ils en auront laissées…
Pour le dire
autrement :
Les mondes et
les êtres passent — la Joie, créatrice du monde, demeure…
R.C. Vaudey
À Héloïse Angilbert, sans la délicatesse, la puissance, l’amour, la grâce, et les œuvres de laquelle ce « Bureau » et ces « Recherches » n’existeraient pas.
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