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MATISSE
La joie de vivre |
Chère
amie,
Pour
en revenir à Flâne mystique, dans le texte, d’après
Galien (clic), auquel
je faisais référence, Oribase (LIVRE VI. DES EXERCICES.)
cherche
en quelque sorte à mettre en évidence — par cette condensation
de la pensée galénique — l'osmazôme de la paideia
grecque, où
les exercices — parmi lesquels il compte les rapports sexuels —
tiennent une grande place.
Oribase
fut le médecin et en quelque sorte l'encyclopédiste de l'empereur
Julien l'Apostat, pour qui il a compilé ces textes ; — Julien
l'Apostat ainsi nommé parce qu'il tentait de rétablir les cultes
polythéistes et plus généralement cette culture de la paideia
dans un moment où l'empire devenait chrétien et où cet idéal, —
réservé aux hommes et homophile, — mécaniste et
hygiéniste grec, d'un esprit sain dans un corps sain était
remplacé par un idéal chrétien de continence et d'ascétisme.
La
misère occidentale c'est cela : n’avoir eu le choix qu’entre,
d'un côté, une sorte de culture de salle de musculation et
d'arrière-salle contemporaine réunies — avec la pédophilie en
plus et un développement immodéré du goût pour les ratiocinations
théoriques qui accompagnent habituellement cette forme de névrose,
et, de l'autre, la haine des sens, très judéo-chrétienne — haine qu'a
très bien vue et nommée Nietzsche —, toujours la pédophilie — mais coupable, dans ce cas —, et
un développement tout aussi immodéré du goût pour les arguties — d’ordre
théologique, cette fois.
Le
tout à l’usage exclusif des hommes, et sur fond de domination
patriarcale (rapt et viol des femmes, des enfants et des esclaves,
violences sexuelles, maternité « non-désirées », haine
pré et post-natale des mères envers des enfants qui viennent à
leur tour grossir le fleuve, encore naissant, des porteurs de la peste
émotionnelle produite par tout cela, et qui en assurent le
développement historique, en ne pouvant que reproduire et
intensifier la séparation et la guerre entre les sexes.
Et,
Ovide mis à part — quoique pas contemplatif non plus —, personne
n'échappa à cette misère.
Pas même Épicure
qui — même si, contrairement à ce qu'affirme un commentateur (clic) en
s'appuyant sur une citation tronquée, il ne craignait et ne
condamnait les plaisirs sexuels que pour des raisons de kairos
— affirmait cependant, d’après ce que Diogène Laërce rapporte
(X 118), que l’homme sage (clic) :
« [Il]
évitera d'avoir commerce avec toute femme, dont l'usage est prohibé
par les lois, selon ce qu'en dit Diogène dans son Abrégé des
Préceptes moraux d'Épicure.
«
Il ne sera point assez cruel pour accabler ses esclaves de grands
tourments; loin de là, il aura pitié de leur condition, et
pardonnera volontiers à quiconque mérite de l'indulgence en
considération de sa probité; il sera insensible aux aiguillons de
l'amour, lequel, dit Diogène, livre XII, n'est point envoyé du ciel
sur la terre. Les plaisirs de cette passion ne furent jamais utiles ;
au contraire, on est trop heureux lorsqu'ils n'entraînent point
après eux des suites qu'on aurait sujet de déplorer. »
Ovide
—
qui,
lui, était sensible aux aiguillons de l’amour —
aura
eu une heureuse influence sur les Dames et les chevaliers
courtois, et
leur poésie.
Ils
ont à leur façon inspiré les Galantes et les Galants.
Ainsi
s’est perpétué un courant de pensée qui loin de craindre l’union
des sexes opposés y a vu l’occasion
pour que survienne dans l'Univers
la
forme suprême
de la volupté, puisque l'Homme, quand il aime, est bien sûr le jouisseur suprême. Eh quoi ! Qui d'autre ! (Ad
metam properate simul : tum plena voluptas, cum
pariter victi femina virque iacent (Allez tous deux au but :
la volupté totale c’est lorsque, défaits, l’homme et la femme
exultent de concert), écrivait Ovide)).
Jusqu’à ce moment où
—
sensibilisés
par ces prédécesseurs à ce que les femmes et les hommes gagnent à
rechercher une civilité et une extase harmoniques et sentimentales —
nous nous
décidions à apparaître, sur la scène du monde,
—
en
plein revival
festiviste grec, en
train de défaire l’anti-festivisme judéo-chrétien !
Nous y sommes encore.
Toujours
cette histoire de kairos.
Sans
remonter à l’aurignacien ou au magdalénien, dont parlait
Vaneigem, les hautes et anciennes civilisations indiennes et
chinoises — l’une avec le tantra, l’autre avec le taoïsme —
n’avaient pas ignoré la voie qui mène les femmes et les hommes de la chair à l’extase,
mais elles avaient ignoré — ainsi que je l’ai si heureusement (pour moi) écrit — :
la grâce, expérimentée en comme-un dans l’extase harmonique, la
jouissance du Temps qui suit et accompagne cette forme
sentimentale et accomplie de l'amour charnel, qui dévoile les chants
d'un nouvel amour, refondé par l'accord des sexes opposés sur la
base : de la délicatesse et de la puissance réciproques et
partagées ; de l'égalité des amants ; de la plénitude
et non plus de la déchirure.
L’Occident
judéo-chrétien — et donc évidemment hellénique —, finalement
barbare, a ignoré cette voie mystique et sensualiste, voie dont, avec
son esprit de rustre et de philistin, il croit pouvoir se faire une idée en feuilletant
la version simplifiée des Aphorismes du désir.
Pensés
pour la victoire militaire (clic), sa fabrication de névroses et leur
ordonnancement spécifique lui ont cependant permis de dominer le
monde.
Monde qui est donc partout puritain-pornographique, — de sorte
que même les Indiens ou les Chinois ne comprennent, aujourd’hui,
plus rien à leur ancienne culture de l'illumination par la grâce de l'amour charnel.
J’espère
avoir répondu à votre interrogation.
À
vous
R.C. Vaudey
P.S.
Voici la
citation complète des Propos de tables de Plutarque (clic), où ce
dernier fait dire à Zopyre, un épicurien, les raisons qui
poussaient Épicure à condamner la sexualité à certains moments, lui qui ne l’appréciait pas, en général :
"Frappés
de ces observations, les jeunes gens gardèrent le silence. Mais les
autres prièrent Zopyre de rapporter les paroles d'Épicure touchant
cette matière. Zopyre dit qu'il ne s'en souvenait pas exactement et
dans tous les détails, mais qu'il pensait que ce philosophe
redoutait les commotions produites par les rapprochements amoureux, à
cause de l'ébranlement, du trouble, des secousses que la
consommation de l'acte en question détermine dans les corps. En
général les sens sont alors déplacés de leur assiette ordinaire
par le vin, qui de soi-même est remuant et provocateur de désordres.
Si donc, dans un tel état, la masse de notre corps, au lieu de
trouver du repos et du sommeil, est assaillie par d'autres émotions,
par celles des plaisirs de l'amour, les ligaments destinés à
contenir, à lier la masse entière, tendent à se désunir et à se
briser; et il est à craindre que tout l'édifice ne s'écroule,
comme arraché de ses fondements. La semence vitale ne se produit
même pas alors avec facilité. Il y a obstruction des vaisseaux, par
suite de la réplétion. Ce n'est que violemment et dans des
conditions troublées, que la semence se fraye un pénible passage.
Aussi Épicure dit-il qu'on doit se livrer à cet acte lorsque le
corps est dans un calme parfait, lorsque, étant terminée la
digestion de la nourriture, celle-ci s'est répandue dans les
viscères pour les abandonner ensuite, et enfin, avant que l'on sente
le besoin d'une nouvelle alimentation."
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