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Héloïse
Angilbert
Croquis
préparatoire à La Vie
2001
|
Chère
amie,
Voici,
comme
promis,
le texte que j’écrivais, le 10 février 2001, en forme de
Présentation
de
La
Vie,
pour l'exposition Prolégomènes
à un troisième millénaire sensualiste ou non… ;
j’y joins la description de cette exposition, où il est question
de labyrinthe et de beaux-arts amoureux. Et de quelques autres
choses.
Avec
mes respectueux hommages,
À
propos d'Héloïse Angilbert et de son art…
Héloïse
Angilbert a un parcours atypique dans l'art du moment. Se situant
elle-même dans la lignée de ceux qui de Marcel Duchamp à Arthur
Cravan, et quelques autres, ont fait « en passant » de la vie le «
huitième art » (selon l'expression des lettristes internationaux),
elle ne croit pas que l'activité de l'artiste doive être
nécessairement toujours publique. [… ]
Aujourd'hui
cependant, au tournant d'un millénaire et à l'achèvement d'un
siècle dont tout le monde peut mesurer aisément tout ce qu'ils n'en
finissent pas d'apporter de monstrueux à l'histoire des Hommes, elle
se décide, forte de quelques amitiés à travers le monde et d'une
dizaine d'années de vie consacrée à absolument rien d'autre qu'aux
aventures théorico-poétiques liées à la tentative qui est la
sienne de définition de la richesse (c'est-à-dire
du sens même de l'existence)
et liées également à cette volonté — compréhensible chez cette
jeune femme — de dégager de la barbarie du siècle écoulé les
éléments qui pourraient servir à une humanisation éventuelle des
Hommes et de leur histoire, elle se décide, dis-je, à se connecter
ou à se reconnecter avec les réseaux de la communication publique
de l'art, nonobstant les discours sur la prééminence des réseaux,
pour y faire résonner quelques pertinentes questions et quelques
belles réponses qui, selon elle, seules resteront quand tout aura
été oublié des conditions présentes faites à l'art et à la vie.
Se
plaçant très au-delà des conditions présentes de la misère et de
l'inhumanité, elle envisage la question de la richesse —
c'est-à-dire, encore une fois, la question du sens de l'existence —
en supposant résolues les questions liées à la juste répartition
des ressources, aux conditions matérielles de la survie des Hommes,
et même celles liées à leur réduction à ce
presque-rien statistique par
l'économisme déchaîné.
Très
clairement, alors que l'Histoire engloutit les Hommes dans les
charniers des guerres (religieuses, secrètes, économiques,
militaires…), leurs ruines et leurs décombres, tout en en
préparant sous nos yeux toujours de nouvelles et de plus barbares
encore, alors que les famines emportent les plus pauvres d'entre eux
(comme elle a pu le constater au cours de ses voyages à travers le
monde) pendant qu’une abondance frelatée et mortifère en menace
d'autres ailleurs (c'est ici…), et tandis que toute la violence et
la haine héritées de la barbarie des siècles précédents — et
que le chaos du temps présent ne manque pas d'exciter encore
davantage — s'insinuent et se débondent dans toutes les relations
sociales, familiales, amoureuses ou ce qu'il en reste, et que les
conditions même de la poursuite d'une si misérable inhumanité
sont plus généralement remises en question, Héloïse Angilbert, à
l'avant-garde d'un temps qui pourrait tout aussi bien ne jamais voir
le jour, refusant de réduire le sens de la richesse à la résolution
de ces problèmes, qui ressortissent plus à la barbarie qu’à
l'humanité, redéfinit la richesse comme pratique tendre, puissante,
élégante et raffiné de l'humanité. Pas moins.
Parmi
toutes les conditions préalables à cette exploration éventuelle et
à venir de l'Humanité par elle-même, qu'elle appelle de tout son
art, et outre bien entendu la résolution des si difficiles questions
que j'évoquais précédemment, et à laquelle elle essaie comme tout
un chacun de participer, je sais qu'elle est particulièrement
sensible à la question de l'établissement d'un rapport également
raffiné, tendre, élégant, intelligent, poétique et déclanisé
entre les hommes et les femmes, et que, plus généralement, elle
comprend son travail comme devant participer à cette indispensable
amélioration des mœurs partout où elle est nécessaire. On peut
être certain qu'elle utilisera tous les moyens à sa disposition
pour que, par-delà les nécessaires connexions encore à créer
entre les êtres, s'impose l'idée de la belle, délicate et raffinée
rencontre (celle de l'intelligence, de l'amitié ou de l'amour) dont
elle parle. Et elle aura raison.
C'est à la lumière de ces étranges
considérations — mais qui sont pourtant bien dans la lignée de
celles d'un certain nombre d'aventuriers de l'art et de la vie du
siècle écoulé — qu'il faut considérer cette installation
intitulée La
Vie qu'elle
déploie ici.
R.C.
Vaudey. Le 10 février 2001.
Description
de : LA
VIE
et
de l'installation-vidéo-théorique : Manifeste
sensualiste
(Exposition :
Prolégomènes
à un troisième millénaire sensualiste ou non.
Juin 2001.)
L’Avant-garde
Sensualiste, qui redéploie
le genre du manifeste et ceux de la théorie et de la poésie,
redéploie également celui des arts qui doivent chanter les très
riches et très “grandes heures de l'Homme”, pour parler comme
Nietzsche
.
Ainsi le Manifeste sensualiste n'a-t-il pas attendu plusieurs années après avoir été écrit pour se retrouver au centre d'une nouvelle forme d'art. À peine avait-il été rédigé qu'aussitôt nous en fîmes, dans l'esprit de celui de qui avait fait Critique de la séparation, un montage vidéo qui se présentait ainsi : un écran noir avec une voix off, celle d'Héloïse Angilbert, lisant le Manifeste avec, de temps en temps, apparaissant sur cet écran, des cartons (“Pour en finir avec la Séparation” etc.), quelque chose entre Hurlements en faveur de Sade (que, cette fois, l'on aurait pu nommer Feulements d'amour en défaveur de Sade), et le film La société du spectacle, ce qui était une façon, avec le titre de l'exposition — pour Breton —, de saluer ceux à qui nous devions en quelque sorte ce beau voyage.
Mais
cette installation vidéo théorique — puisqu'il faut la nommer
ainsi — qui était jouée dans une salle sombre était elle-même
partie d'un tout
— qui est la vraie, et absolument inédite, réalité du Manifeste
sensualiste
— qu'elle composait avec une autre forme d'installation réalisée,
elle, d'un cube de lin écru de 3 m de côté, dans une pièce
contiguë, sombre elle aussi, cube à l'intérieur duquel on
apercevait — par un œilleton — le lit et les draps blancs
défaits d'amour, éclatant de l'extraordinaire blancheur
que leur donnait la lumière, noire, et les lettres : LA
VIE
(en rose, fluorescent, bien sûr) qui montaient et descendaient et
qui semblaient être responsables du grincement significatif — de
ce lit — que l'on entendait, installation qui est un poème, (comme
le Manifeste)
mais en trois dimensions, d'une jeune femme, à l'amour, et aussi à
l'amour charnel, et à leurs émerveillements ; et ce sont ces deux
éléments : l'humour et la poésie du lit qui grince et de LA
VIE
qui danse, associés aux propos que je tiens dans le Manifeste
et avec, pour y accéder (ce qui dans la réalité n'avait pas pu
être vraiment réalisé), un long labyrinthe composé de draps
blancs, qui constituaient une situation tout à fait neuve et
poétique — au-delà des bêlements sur la fin de tout — et qui,
pour ceux qui auraient pu en comprendre la portée, manifestait,
chargée d'un tout nouveau sens, et tout à fait inédite par la
forme de vie et d'association qui avait présidée à son
inspiration, cet art
neuf
— après tant d'années de famine poétique — où s'allient le
très personnel et l'impersonnel dont je parlais dans les Précisions,
où se déploie le style de chacun pour célébrer ce qui en même
temps dépasse l'un et l'autre, et qui est — en même temps qu'un
hymne à l'amour — un appel à la vie, à l'amour, et à leur belle
révolution historique nécessaire. Un art de la longue vue. Un art
de la longue vie.
Je
peux décrire facilement ce à quoi ressemble l'art des sensualistes
puisqu'il n'a été montré que très rarement au public. Mais,
puisque je l'ai décrit, on ne pourra pas dire plus tard qu'il était
impossible de faire en ce début de troisième millénaire une forme
d'art vraiment neuve, puisqu'on a vu qu'en reprenant des éléments
de l'ancienne avant-garde du cinéma, ou de sa destruction, du milieu
du siècle dernier, la vieille image familière et poétique du
labyrinthe, le principe de l'installation — qui n'est rien si l'on
n'y met pas un sens historique et personnel — et aussi, tout
simplement, l'écriture, bref en combinant quelques éléments que
l'on connaissait déjà, et seulement par l'interaction de ces
éléments placés dans cette perspective personnelle, historique et
philosophique-là, et évidemment grâce à la conjonction
particulière de ceux qui les avaient réunis (conjonction qui avait
d'ailleurs présidé à la création de ces éléments), on pouvait
faire quelque chose d'aussi poétique qu'un koan ou qu’une
calligraphie zen — que
l'on devait faire, également, au sortir d'un moment de grâce
; et
beaucoup dans ce que j'ai décrit de ces combinaisons d'éléments
théoriques et visuels avait été fait au sortir d'un instant de
grâce amoureuse
—, mais placés là aussi dans un
esprit de bouleversement tendre du monde.
Ceux
qui voudront de leur côté s'essayer à l'existence des
Libertins-Idylliques telle que je l'ai décrite dans les Précisions
(“Jeunes
gens, jeunes filles, quelque aptitude à l'amour abandonné et à la
poésie, si beaux ou intelligents, vous pouvez donner un sens à
l'Histoire, avec les sensualistes… Vivez, aimez, écrivez, créez
!”),
si la chance des rencontres leur sourit, et s'ils parviennent à s'en
donner les moyens, trouveront eux aussi, très facilement, ces
phrases
de réveil
d'un genre particulier dont je parlais, dont ils pourront faire
une très nouvelle et très ancienne poésie, et aussi
l'inspiration de nouvelles formes d'art pour marquer les très riches
et très grandes heures de leur propre humanité et de leur propre
histoire, en combinant ou non les éléments de l'ancien art du XXe
siècle, qui avait commencé avec Dada sur la base du : Rien
n'est vrai tout est permis
(qui sous-entendait quelque chose de violent et de négatif), XXe
siècle dont nous avons marqué le terme en retournant cette
proposition en un : Rien
n'est vrai tout est possible,
où le possible est chargé cette fois de toute notre puissance et de
tout notre désir poétiques créateurs positifs, XXe siècle enfin
qui a donné à l'art la plus grande liberté.
Ils
pourront ainsi enrichir l'histoire encore balbutiante de l'individu
et faire en sorte que l'on ne puisse plus dire que ce qui aura été
important dans leur vie n'aura pas laissé de traces, et qu'elle aura
été marquée, uniquement, par le Spectacle régnant; et ainsi, de
proche en proche, il est possible que l'intelligence de l'Histoire et
le feu de la passion et des beaux sentiments, les
beaux-arts amoureux,
qui améliorent si bien les mœurs, gagnent.
R.C. Vaudey. Le 12 mars 2002.
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Héloïse
Angilbert
Croquis
préparatoire à La Vie
2001
|
I
Un
labyrinthe de lourds draps de lin blancs
— Brodés
de votre monogramme —
Oscillant
dans un vent léger
En
haut d’une colline
Qui
surplombe la plaine…
Un
labyrinthe qui débouche sur La
Vie …
Tandis
que l'on entend celui de Marin Marais (*)
— Et
le grincement
– Significatif
–
D’un
lit
Que
l'on connaît —
:
Il
aura fallu 17 ans
Pour
que ces deux labyrinthes se rencontrent…
Enfin…
— Que
séparent près de 300 ans…
L'art
sensualiste est la négation de l'art contemporain
— Non
pas techniquement mais sensiblement
—
:
Contrairement
à ceux qui le dénigrent pour des raisons de savoir-faire
Nous
le révoquons pour des raisons de savoir-vivre
L'art
sensualiste diffère en ceci qu'il est contemplatif — galant
Tout
le restant l’indiffère :
Toutes
les formes de la Figuration
De
l’Abstraction
Du
Minimalisme
Du
Réalisme
De
l’Hyper-Réalisme
Et
cætera
L’art
sensualiste est, et sera, l’appropriation
Des
moyens de l’art
Par
ceux que Nietzsche appelait les aristocrates-nés
de l’esprit
(Nietzsche
qui écrivait :
Fécondité
tranquille
— Les
aristocrates-nés de l’esprit ne sont pas trop pressés
Leurs
créations paraissent et tombent de l’arbre par un tranquille soir
d’automne
Sollicités
Pressés
par la nouveauté
Le
désir incessant de créer est vulgaire
Et
témoigne de jalousie
D’envie
D’ambition
Si
l’on est quelque chose
On
n’a réellement besoin de faire rien
— Et
pourtant l’on agit beaucoup…
Il
y a au-dessus des hommes « productifs » une espèce
encore supérieure.)
Le
31 mai 2018
II
(Le
jour suivant…
)
Sous
la pluie, l’Etna
Le
magma en fusion
Le
jaillissement plasmatique
III
(Le
jour suivant ce jour suivant…
)
Seul
Sous
la voûte du tilleul
Qui
bruisse des abeilles
— Illuminée
du dernier rayon de soleil
Que
nous offre ce jour d'été —
Je
ressens l'ivresse fébrile
Que
traduit cet immense
Et
beau bourdonnement
L'exubérance
La
joie de se plonger
— Corps
et âme —
Dans
le nectar
— Loin
des passions
Bibliophiles
—
La
fusion
— À
perdre haleine —
Dans
la propolis et le pollen
L'extase
du coquillard
— Comme
au temps de Villon —
Le
velours de délice
Des
calices
La
corolle
Qui
affole…
L’androcée
et le gynécée
— Mêlés
—
La
frénésie des ardeurs
Des
senteurs
… Le
bonheur
Le 2 juin 2018
R.C. Vaudey
Journal d'un Libertin-Idyllique (Illuminescences) 2018
.