C'est
très étrange d'être un inventeur bien autrement méritant que tous ceux qui
vous ont précédé ; un musicien même, qui a trouvé quelque chose comme la clef de l’amour : l'inventeur — comme on dit de ceux qui
découvrent des trésors — de la troisième forme du libertinage en
Europe, le libertinage idyllique ; — cette forme du libertinage
qui marque l'aboutissement et la fin de quelques millénaires de
patriarcat esclavagiste-marchand.
Même
si, évidemment, les changements civilisationnels
dont on parle s'effectuent, éventuellement, sur quelques siècles, —
ou même sur quelques milliers d'années.
Bien
sûr, on n'invente pas l'amour contemplatif — galant ; — pas plus
que l'on invente le surf : on n'invente pas l'océan, les vagues, la
houle ; et pas davantage les réflexes d'équilibre, ni ceux qui
permettent l'expression de la puissance ou de l'abandon, — ni, non
plus, la grâce et le sentiment extatique qui les accompagnent : ils
existent depuis toujours ; enfin à l'échelle qui est la nôtre,
lorsqu'un Homme, un
beau jour,
découvre comment tout cela — l'océan, les vagues, la houle, les
réflexes d'équilibre, ceux qui permettent l'expression de la
puissance et de l'abandon ; la grâce et le sentiment extatique qui
les accompagnent — s'harmonise.
Ou
plutôt, lorsque lui-même, dans un délicat mouvement de puissance
et d'abandon, les
harmonise.
En
s'y jetant corps et âme.
En
s'y abandonnant.
Dans
la joie souveraine du jeu, et du Je… — et de son apothéotique
affirmation-dissolution.
Cependant,
pendant des millénaires, peut-être depuis la nuit des temps, sur
toutes les plages du monde, les Hommes sont restés en possession de
ces trésors — leur propre délicatesse, leur propre puissance, et
celle de l'océan —, tétanisés, terrifiés ou indifférents,
maudissant ou vénérant la mer, taraudés par son effroi idolâtre,
et la nécessité de s'y engager maladroitement pour s'en
nourrir, ou, plus tard, en l'instrumentalisant par leur haine
guerrière ou leur utilitarisme marchand.
Bien
sûr, on n'invente pas l'amour contemplatif — galant ; — pas plus
que l'on invente le surf : on n'invente pas les hommes, on n'invente
pas les femmes, et pas davantage les réflexes qui manifestent
l'attirance des sexes opposés, puis leur congruence
; et pas davantage les réflexes du clonus orgastique qui permettent
l'expression de la puissance ou de l'abandon, — ni, non plus, la
grâce et le sentiment extatique qui les accompagnent : ils existent
depuis toujours ; enfin à l'échelle qui est la nôtre, lorsqu'un
homme et une femme, un beau jour, découvrent comment tout cela —
les femmes, les hommes, les réflexes qui manifestent l'attirance des
sexes opposés, puis leur congruence, ceux du clonus orgastique qui
permettent l'expression de la puissance et de l'abandon dans
le même moment, pour chacun des deux amants
; la grâce, le sentiment extatique qui les accompagnent —
s'harmonise.
Ou
plutôt, lorsqu'eux-mêmes, dans un délicat mouvement de puissance
et d'abandon, les
harmonisent.
En
s'y jetant corps et âme.
En
s'y abandonnant.
Dans
la joie souveraine du jeu et du Je voluptueux…
— et de son apothéotique affirmation-dissolution.
Cependant,
durant des millénaires, peut-être depuis la nuit des temps, sur
tous les continents, et au moins dans toutes les civilisations
historiques, les hommes et les femmes sont restés en possession de
ces trésors — leur propre délicatesse, leur propre puissance, le
puissant réflexe du clonus orgastique qui en permet l'expression
dans le même moment pour chacun des deux amants,
avec la
grâce et le sentiment extatique qui les accompagnent — face à
l'amour, terrifiés ou indifférents, vénérant ou maudissant leur
mère, leur père, taraudés par l'effroi idolâtre et la nécessité
de s'y engager maladroitement pour exister socialement et se
reproduire, et, plus tard, par leur haine guerrière ou leur
utilitarisme marchand.
Ecce
Homo
On
n'invente pas le surf. On n'invente pas l'amour contemplatif —
galant. Pourtant, il faut bien qu'un jour, un poète, d'un genre ou
d'un autre, les fasse venir au monde. Et les lui offre.
Et
je tiens à dire que je ne suis pour rien dans la découverte du
surf, — ni dans son développement.
D'ailleurs,
je n'aime pas ce qu'il est devenu — en se développant.
Gauguin
l'avait déjà dit, il s'agissait d'échapper à une civilisation
techniciste mortifère, et à l'ère des masses qu'il voyait se
développer comme une malédiction.
Le
XXe siècle n'a pas contredit sa prédiction.
Pour
nous, il s'agissait d'échapper au tsunami de l'Histoire, pour sauver
les plages désertes de la poésie vécue, du sentiment, et de
l'extase — et, sur la grève du Temps, de découvrir l'amour dont
on finirait par dire qu'il n'y en a pas d'autre qui vaille que
l'amour contemplatif — galant.
Endless
summer. Endless romance.
Hors de l'Histoire et «
qu'importe dès lors l'histoire ! Elle n'est pas le siège de l'être,
elle en est l'absence, le non de toute chose, la rupture du vivant
avec lui-même ».
L'Histoire
— c'est-à-dire l'ère de l'Injouissance – l'Injouissance,
c'est-à-dire cette rupture du vivant avec lui-même et avec le monde
— ouverte dès le début de l'invention de l'agriculture et avec ce
qui est devenu très vite le patriarcat esclavagiste-marchand, a
continué et continue ses convulsions chaotiques qui l'amènent à
son nécessaire dépassement ; — quelle que soit la forme que
prenne ce dépassement : implosive, explosive ; catastrophique
ou, pour les optimistes, miraculeusement progressive…
Fondée
sur — et par — l'assujettissement, la guerre des sexes, la
soumission des femmes, et donc — dans le même mouvement, et
dialectiquement — la perte du véritable sens contemplatif —
c'est-à-dire la perte du « ravissement d'étonnement que l'homme
éprouve devant le miracle de l'Être considéré comme un tout »,
son émerveillement muet, submergé par la jouissance du Temps, et
son remplacement par une forme castrée du sens contemplatif inspirée
par l'homme
devenu fabricateur,
forme castrée du sens contemplatif qui a trouvé avec Platon sa
parfaite expression, parfaitement reprise et développée par les
monothéismes, qui s'en sont nourris, et qui possèdent toujours,
d'une façon d'une autre, les esprits et les corps des humains
d'aujourd'hui, et donnent une justification et un sens illusoires à
la rage et à la haine destructrice et autodestructrice qui les
consument, qui plus véridiquement leur viennent de cette rupture
d'eux-mêmes avec eux-mêmes et avec le monde, et, bien sûr,
également, de leur assujettissement, et du climat d'hostilité
meurtrière qui règne entre les sexes — ainsi fondée, cette
histoire de l'Injouissance, cette pré-Histoire de l'Homme
contemplatif — galant, tel que nous le manifestons, l'Histoire,
donc, avec tous ses déploiements civilisationnels — quelque
sublimité qu'on puisse par ailleurs leur reconnaître — ne pouvait
et ne peut, sur de telles bases, qu'aller vers l'effondrement, par
excès, — et par manque.
Elle
y va.
L'invention
du libertinage idyllique, contemplatif — galant, profondément
immergé dans la jouissance du Temps, dans la pure présence au
monde, délicate et voluptueuse, tout à la fois, — comme
l'invention du surf, un peu plus tôt —, montrent par quelles
formes de l'esprit, de la sensualité, de la jouissance et du rapport au monde, elle pourrait être dépassée.
Gracieusement.
Bien
entendu, l'Histoire continue après ces inventions, comme avant,
poursuivant dans sa misère enragée, selon les logiques infernales
qui la mènent, sur la base de cette fondamentale rupture,
de cette archaïque séparation.
Cependant
des hommes paraissent ; ils sont les artistes du futur, — de
quelque façon qu'on le comprenne…
Ecce Homo.
Le 4 juillet 2014.
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