R.C.
Vaudey. Poésies III
Les
idées s'améliorent. Le sens des mots y participe. Le plagiat est
nécessaire. Le progrès l'implique. Il serre de près la phrase d'un
auteur, se sert de ses expressions, efface une idée fausse, la
remplace par l'idée juste.
Vrai
silence
Ce
qui fait que, dans l'amour contemplatif — galant,
les amants ne s’ennuient
point d’être ensemble, c’est qu’ils atteignent au vrai
silence.
Éden
L'homme
et la femme sensualistes dans l’amour charnel se laissent conduire,
là où l'homme et la femme du commun veulent conduire, — ou être
menés ; et pendant que leur esprit ne tend plus à aucun but, leur
cœur les entraîne insensiblement à l’Éden.
Goût
de l'amour
L'attachement
ou l'indifférence que les hommes ont pour l’amour n'est qu'un goût
qui leur vient de leur santé émotionnelle — qu’ils tiennent
elle-même de leur vie — dont on ne doit non plus disputer que du
goût de la langue ou du choix des couleurs.
Mépris
de l’amour
Le
mépris de l’amour est chez l’injouissant contemporain un désir
caché de se venger de l'injustice de la fortune par le mépris de ce
bien dont elle le prive; c'est un secret pour se garantir de
l'avilissement de sa misère charnelle et affective; c'est un chemin
détourné pour garder une considération de soi-même qu'il ne peut
avoir par les richesses de sa vie sentimentale.
Le
caractère
Le
caractère n’est pas, comme on le croit encore parfois, le
développement des qualités individuelles premières, sensibles et
poétiques, mais bien leur décomposition et leur refonte entière.
C’est un second édifice, bâti avec les décombres du premier dont
on retrouve parfois les débris, avec un plaisir mêlé de surprise.
C’est celui qu’occasionne l’expression naïve d’un sentiment
naturel qui échappe à un être que l’on croyait avoir été
totalement cuirassé par la souffrance et l’adversité. C’est
comme un fragment d’ancienne architecture dorique ou corinthienne,
dans un blockhaus.
La
grâce
La
grâce de la jouissance amoureuse est au corps ce que la
contemplation qui la suit est à l'esprit.
Société
de l’injouissance
En
général, si la société n’était pas une « Société de
l’injouissance », tout sentiment simple et vrai ne produirait
pas l’effet qu’il produit. Il plairait. Mais il amuse et il
irrite. Cette dérision et cette irritation trahissent l’injouissance
dans cette société.
Des
jugements
Souvent
les assertions sensualistes commencent par paraître ridicules dans
la première jeunesse, et, en avançant dans la vie, on comprend
pourquoi elles sont justes ; elles ne paraissent plus absurdes.
On s’aperçoit alors qu’elles ont été établies par des gens
qui avaient lu le livre entier de la vie, et qu’elles sont jugées
par des gens qui, malgré leur esprit, n’en ont lu que quelques
pages.
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Plaisants
et des malfaisants
On
comprend vite et sans peine que la vie a fait des aimables et des
vicieux : il n’y a point de siècle et de peuple qui n’aient
produit des plaisants et des malfaisants, en quantité —
inversement proportionnelle.
Infortunes
de la perversion
Le
pervers prononce en secret : je suis chargé de l’infortune de
la vertu ! et il joue de la cruauté qui l’excite sans jamais
le contenter.
Phantasmes
Les
phantasmes et les obsessions ont une raison et un propre intérêt,
qui fait qu’il est dangereux de les ignorer, et qu’on doit s’en
soucier — pour en trouver si possible la cause — lors même
qu’ils paraissent déraisonnables.
Souffrances
sexualisées
Les
injouissants contemporains ont plus de souffrances sexualisées que
de désir de vraie volupté; et c'est toujours pour se soulager de ce
prurit qu’elles leur donnent qu’ils imaginent ou réalisent des
choses innommables, — en vain.
Fureurs
et addictions
Les
phantasmes se nourrissent dans les souffrances refoulées, et
deviennent fureurs et addictions, ou ils cessent, sitôt qu'on passe
de l’inconscience réprimée à la
conscience abréagie — c’est-à-dire
celle qui suit le revécu émotionnel autonome. Et pour peu que la
vie vous fasse grâce.
Démentir
les défauts que nous donne notre histoire
Le
caractère prend les bonnes ou mauvaises qualités des situations et
des relations par où il passe, et certains peuvent remercier leur
enfance, pour y avoir rencontré une plus favorable étoile. Il n’y
a point de caractère, si aimable qu’il soit, qui n’ait quelque
défaut acquis que ne censurent ni la raison, ni la précaution.
C’est une victoire d’homme sensible et conscient de corriger, ou
du moins de faire mentir, l’autorité de ces défauts. L’on
acquiert par là le plaisir d’être neuf à soi-même, pour ainsi
dire, et cette exemption de ce défaut habituel est d’autant plus
estimée que personne ne s’y attend. Il y a aussi des défauts de
famille, de profession, d’emploi, et d’âge qui, venant à se
trouver tous dans un même sujet, en font un monstre insupportable,
si l’on ne les prévient de bonne heure.
Sensibilité
et jouissance
L’une
a autant d’importance que l’autre a de fulgurance. La première
sert durant la vie, et la seconde la magnifie. L’une résiste à la
négativité, l’autre jaillit dans l’habituelle hideur du monde.
La sensibilité se désire, et se refait quelquefois avec l’aide
des amitiés, des amours, ou de la grâce de la catharsis ; la
jouissance se gagne à force d’abandon et de sentiment. Le désir
de la sensibilité naît d’un goût pour la poésie vécue — et
réciproquement. La jouissance fait de l’homme un dieu, une
histoire d’amour : elle va toujours par les extrémités du
triomphe du laisser-faire prodigieux des grâces corporelles et
sentimentales — et de la contemplation qui le suit.
L'amour
contemplatif — galant,
forme apothéotique de la poésie et de la volupté
Le
libertinage idyllique est en quelque manière juste et raisonnable,
puisqu'il ne tend qu'à retrouver et à conserver la douceur et la
poésie qui nous appartiennent dans l’enfance — et que nous avons
raisons de croire nous appartenir — tout en les menant à leur
apothéose, — sans laquelle elles seraient inaccomplies ; — au
lieu que le libertinage sadien ou masochien est une fureur qui ne
peut souffrir le bien des autres —
ou
le sien propre.
Fréquenter
ceux de qui l’on peut apprendre
Les
années de formation doivent servir non pas tant d’école
d’érudition que d’école de délicatesse. Dans ces années, il
faut choisir ses maîtresses, assaisonnant le plaisir de découvrir
l’amour, à la joie de s’en laisser instruire. Entre amants la
jouissance doit être réciproque. Ceux qui jouissent sont payés du
jouissement qu’on donne à leurs extases ; et ceux qui
s’extasient, du même bonheur qu’ils reçoivent de l’autre.
Notre intérêt propre nous porte à nous abandonner à la
jouissance. L’homme sensualiste lit les bons poètes, dont les
livres sont plutôt les théâtres des apothéoses du laisser-faire
des grâces corporelles et sentimentales que les palais de la vanité
ithyphallique ou ithyvulvique, ou les décombres de son contraire.
Préalable
Même
si ce n'est pas — et
de loin — un
préalable suffisant, l'Humanité ne pourra envisager d'être
heureuse que le jour où le dernier trader aura été pendu avec les
tripes du dernier festiviste-consumériste contemporain.
Oracles
Il
y a des hommes qui, outre qu’ils sont eux-mêmes des oracles qui
instruisent autrui par leur exemple, ont encore ce bonheur que leur
cortège est une académie de la galanterie, de la délicatesse et de
la grâce.
Happy
few
Aujourd’hui,
si une pensée ou un ouvrage n’intéressent que peu de personnes,
cela plaide en leur faveur, mais un
livre de moi, connu de vous et de quelques-uns de vos amis, n'a-t-il
pas tous les droits à être appelé fameux...
Le 21 juin 2014
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