R.C. Vaudey. Poésies III
Les idées s'améliorent. Le sens des mots y participe. Le plagiat est nécessaire. Le progrès l'implique. Il serre de près la phrase d'un auteur, se sert de ses expressions, efface une idée fausse, la remplace par l'idée juste.
Il y a des gens qui n’auraient jamais connu l’amour contemplatif — galant s’ils n’en avaient jamais entendu parler. Les poètes donnent la carte et l’assurance ; le permis de conduire, et le permis de construire, aussi.
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Une
des choses qui fait que l’on trouve si peu de gens qui paraissent
heureux dans l’amour, c’est qu’il n’y a presque personne qui
ne pense à ce qu’il veut plutôt qu’à s’abandonner
puissamment mais indolemment
à ce qu’il devrait lui inspirer. Les plus habiles et les plus
complaisantes se contentent de montrer seulement leur maîtrise
technique ou leurs bizarreries — quand on n’est pas au cirque —,
au même temps que l’on voit dans leurs yeux et dans leurs
mouvements une ignorance absolue
pour ce dont je parle, et une précipitation pour retourner à ce
qu’ils, ou elles, savent seulement faire; au lieu de considérer
que c’est un mauvais moyen de s’enfermer dans son particulier ou
de vouloir l’imposer, que de chercher si fort à se fuir ainsi
soi-même, et que bien écouter le rythme de la volupté et bien s’en
laisser enlever est une des plus grandes perfections qu’on puisse
avoir dans l’amour —.pour les femmes, et, plus encore si
possible, pour les hommes.
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Comme
c’est le caractère du bel amour d’atteindre en une fois la plus
intense des jouissances — celle qui vous laisse dans la contemplation galante —, les petites affaires au contraire ont le don
de « beaucoup parler, et de ne rien dire. »
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C’est
plutôt par ses propres émois que par son mérite que l’amant fait
naître les plus belles transes amoureuses de son amante ; et c’est
lorsqu’il ne recherche plus les louanges qu’il lui en donne —
tandis que lui-même s’y abandonne.
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On
n’aime point à jouir vraiment, quand la vie nous a cuirassé —
la jouissance nous terrorise, et on fait tout pour éviter le chemin
qui y mène, qui est celui où se trouvent nos terreurs et nos peines
– notre cœur, brisé —, et on ne jouit jamais — sauf heureux
caractère — sans s’y être de nouveau confronté. La jouissance
harmonique est une apothéose de force, de joie et de liberté,
puissante et délicate, qui satisfait dans un même mouvement, et
comme son nom l’indique, indifféremment celui qui la donne, et
celle qui la reçoit — et réciproquement. Elle est comme une
récompense pour nos laisser-aller sentimentaux, gracieux et
découplés, que la vie nous donne pour nous faire goûter la
grandeur et la beauté de l’amour et du merveilleux.
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Madame
de C. disait : « Le Moraliste contemplatif — galant, l'Antéphilosophe, qui
détruit des systèmes en Physique et en Métaphysique, n'a pas
encore assez détourné les Maximes — qui ne sont pas toutes
bonnes. Je pense à ce que Tacite disait pour les femmes : Neque
mulier, amissa pudicitia, alia abnerit —
que l’on pourrait généraliser aux hommes, après l’exemple de
tant que des penchants malheureux ont empêchés de connaître
l'amour contemplatif — galant dans leur jeunesse, et dont on a pu voir jusqu’où
cela les avait menés, ensuite. Cependant, j’ai vu ce même Monsieur R.C. V., après une jeunesse certes un peu différente de
celle de beaucoup, avoir, dès la fleur de son âge, une passion très
idyllique pour la belle Héloïse ».
« Mais
cet exemple est d’une morale dangereuse à établir dans les
livres. Il faut seulement l'observer et n'être pas dupe de la
charlatanerie des moralisateurs, et de leurs contraires, qui
dénigrent cet auteur. », ajoutait-elle.
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À
propos du même — dont des moralisateurs et des transgressifs, d’un
même allant, critiquaient, devant elle, les écrits — Mme de C.
répondit : « On ne peut pas lui en vouloir, pas plus qu’on ne
peut en vouloir à un maître queux d'écrire sur la délicatesse de
son art, au prétexte que la plupart des gens cuisinent comme ils
peuvent, ce qu'ils peuvent, avec ce qu'ils ont sous la main ; et
qu'ils sont déjà bien contents de manger, sur le pouce, la
tambouille qu'ils se sont improvisée —
dans un monde qui,
littéralement, meurt de faim ».
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« La
plus abominable des perversions modernes est la honte de paraître
ingénus si nous ne flirtons pas avec le mal. » a écrit, le
plus justement du monde, Nicolás
Gómez Dávila. « On peut certainement en reprocher d'autres à ce Monsieur R.C. V., mais il est certain qu'il n'a pas celle-là. » ajoutait encore Madame
de C.
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