Récapitulons
:
— L'amour,
sentimental et abandonné, et la jouissance amoureuse sont les voies
royales qui mènent et ouvrent non seulement à l'extase harmonique
mais aussi, dans un même beau et puissant mouvement, à la
contemplation.
— L'amour,
sentimental et abandonné, l'extase harmonique et la contemplation
sont ce qui distingue du reste le libertinage idyllique et les
Libertins-Idylliques.
— La
contemplation — « ce bien inestimable de pouvoir, sans rupture,
rester fidèle aux instincts contemplatifs de l'enfance et
d'atteindre par là à un calme, à une unité, à une cohérence et
à une harmonie dont celui qu'attire la lutte pour la vie ne peut
même pas avoir une idée. » comme Nietzsche le notait déjà en
1872 dans ses considérations Sur
l'avenir de nos établissements d'enseignement
— est, toujours selon lui, « la seule compréhension vraie et
instinctive de la nature » : avec l'amour, l'alpha
et oméga
; ce que pour notre part nous avons dit ainsi, en détournant Wilde :
Si
un homme est un Libertin-Idyllique et un gentilhomme de fortune, il
en sait toujours assez long, et s'il ne l'est pas, il peut bien
savoir tout ce qu'il veut, cela ne peut que lui nuire.
— Que
l'amour charnel pût ouvrir au sentiment océanique et à la
contemplation était, jusqu'à
ce que nous le disions très clairement,
très ordinairement ignoré dans une époque fièrement sadienne
et festive
dans laquelle, utilisé à des fins de ressentiment, d'abrutissement
ou de consolation, « l'amour charnel » pue, généralement
— la mort, la haine, la souffrance, la séparation ; le plus
souvent.
W.
Reich — quoique un temps détourné de façon éhontée par le
petit homme libertaire-pubertaire pour justifier la «
libération » de ses pulsions destructrices et auto-destructrices,
prégénitales (au sens que W. Reich donna à ce mot),
perverses-polymorphes — était le seul sur lequel on pouvait
compter dans ce siècle de branleurs et de branleuses « à prétexte
» pour donner quelques indications sur la route à suivre : encore
avait-il donné ces indications non pas comme Ovide l'avait fait, en
Romain, sur le mode poétique, mais comme il était seulement
possible de le faire après deux millénaires de haine du corps et
des sens (« Le christianisme a empoisonné Éros — il n'en est pas
mort, mais il est devenu vicieux. » Par-delà le bien et le mal)
: sur le mode du diagnostic médical, seul registre autorisé, dans
son temps, à discourir de la chose.
W.
Reich, dont plus généralement la crédibilité était
habituellement mise en cause parce qu'il semblait ne pas avoir
supporté — entre autres « détails » de
l'Histoire —, et avec tout l'aplomb du monde, que l'on brûlât en
place publique tous ses livres — et quelques autres aussi — et,
un peu plus discrètement, quelques-uns de ses confrères
psychanalystes et résistants — et quelques autres aussi — ; et
parce qu'avoir dû fuir de quatre ou cinq pays semblait lui avoir
quelque peu échauffé l'esprit.
C'est
dans ce contexte que nous sommes apparu, dans une époque où seuls
les vieux se souvenaient encore, en pensant à Rousseau et à ses
Rêveries, qu'il existait quoi que ce fût comme la
contemplation, et où les jeunes, comme nous le notions dans le
Manifeste sensualiste, s'en foutaient (et s'en foutent), ne
cherchant qu'à faire de l'argent — incapables d'aimer et de créer,
dans un monde où tout s'y oppose ; — ou bien voulant changer le
monde mais sans savoir pour quoi faire…
Ainsi,
Nietzsche avait donné son secret à Lou Andreas-Salomé qui l'avait
transmis à Freud, qui, malheureusement, était sourd : il
n'entendait — il l'a avoué à Romain Rolland, dans une lettre
fameuse — rien ni à la musique, ni au sentiment océanique, ce qui
bien entendu était très préjudiciable pour comprendre le secret de
Nietzsche qui porte et sur la musique et sur le
sentiment océanique.
Et
très embêtant pour les théories de ceux suivirent ses traces.
Freud
avait transmis ce qu'il avait compris de ce secret — et quelques
autres choses aussi — à Wilhelm Reich, entre autres, qui lui avait
compris, surtout de Nietzsche, « l'assimilation corporelle des
erreurs fondamentales », mais aussi, d'une certaine façon, le
sentiment océanique.
Reich
qui malheureusement dut traverser l'enfer de la deuxième et de la
plus terrible guerre mondiale, et qui s'y brûla les ailes.
Arrivé
plus tard, nous avons retrouvé par hasard, à notre tour, ce secret
de Nietzsche (et de quelques autres) ainsi que les diverses
variations (et quelques autres) que nous venons d'évoquer.
Depuis
l'analyse de la forme particulière qu'avait prise chez nous «
l'assimilation corporelle des erreurs fondamentales » jusqu'au
déploiement de l'Avant-garde sensualiste grâce et avec
Héloïse Angilbert, en passant par nos recherches et nos discours
autour de l' « ozeanische Gefühle », sur les rivages de la mer
d'Arabie avec la belle Berlinoise, ou ceux, à Paris, avec la belle
d'Aix et de Marseille, nous n'avons pas changé de cap.
Et,
lorsque l'on a si bien commencé, et sur un tel sujet, pourquoi
changer ?
Ayant
vécu environné « de désolation et d’épouvante »
mais tout de même « au centre tranquille du malheur », pour le
dire comme Debord, nous avons pu — et en y réfléchissant bien,
finalement toujours en exil — explorer et laisser se déployer,
malgré tout, le cœur même du secret que nous avions découvert.
Tout
ce que l'on peut lire et voir ici est tout ce que nous en avons fait.
On
peut sûrement en apprendre que la contemplation, « l'ouverture du
Temps poétique » comme nous l'avons parfois nommée, est un bien
rare, peu recherché mais à la portée de tous.
Ceux
qui s'estiment en mesure de peser sur le mouvement du monde — et
qui pensent la chose possible — pourront trouver dans les résultats
de nos « recherches » de quoi nourrir l'idée qu'ils se font de cet
autre monde qu'ils désirent.
Quelques-uns
pourront s'égayer sur une voie amoureuse qu'ils avaient peut-être
jusque-là ignorée — à condition d'y sensibiliser celui ou celle
qu'ils aiment ; ou de la ou le trouver — s'ils n’ont pas un autre
usage définitif de l’amour ; et si le temps et les moyens
leur en sont donnés.
Dans
un monde où tant d'autres choses, qui ne le méritent guère, sont
si communément acceptées, la poésie ne se doit pas de justifier
son existence.
R.C. Vaudey
Le 18 mai 2012.
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